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LES FEMMES FORTES.

avec des petits rubans roses, bleus pour s’y reconnaître ! Voilà une femme courageuse à l’ouvrage, ma mère, et qui tenait bien sa maison !… Et qui m’aimait !… Ah ! que tout cela est loin, et que c’est près tout même quand on y pense !

(Claire pendant que Jonathan parlait, est allée à l’armoire et a pris des nappes et des draps qu’elle dépose sur le guéridon.)
CLAIRE., s’arrêtant.

Elle est morte ?

JONATHAN.

Oui, j’avais quinze ans ! Et il n’y a plus de femmes pareilles, voyez-vous ! il n’y en a plus qu’une par-ci par-là, comme vous, peut-être !…

CLAIRE.

Moi ?

JONATHAN.

Oui, quand je vous vois aller et venir, avec votre linge sur les bras, il me semble que je m’y retrouve… elle glissait comme vous, sans faire de bruit… et il y a longtemps que je ne me suis vu comme cela, tranquille, chez moi, bien assis, avec de vrais meubles, de vraies armoires et de vrai thé !… Ah ! cela a son bon côté tout de même ; c’est ce qu’elle me disait toujours, la pauvre femme, quand je parlais de quitter la maison ! et je lui répondais si durement… Elle pleurait, en se cachant, et puis elle est morte… et alors… Ah ! parlons d’autre chose. Tenez, voulez-vous en prendre une tasse avec moi ?

CLAIRE.

Non, merci !

JONATHAN.

C’est vrai !… C’est bête, ce que je vous offre là ! Ah çà, vous paye-t-il bien, au moins, mon oncle, pour tout le soin que vous avez de lui ?

CLAIRE, appareillant les serviettes, etc.

Il m’aime comme si j’étais son enfant ! Franchement, c’est bien payé.

JONATHAN, se levant.

Parbleu ! j’en ferais bien autant à sa place ! une femme qui veille à tout, qui mène tout, qui fait marcher les domestiques ! Il est vrai qu’il ne va plus en avoir, de domestiques.

CLAIRE, (à son linge).

Dame ! non !