Page:Satires d'Horace et de Perse.djvu/149

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Qui ne s’apperçoit pas qu’un autre le condamne,
Et derrière son dos fait les oreilles d’âne.
L’un partout devant lui croit voir, à chaque pas,
Des fleuves, des rochers, des feux qui n’y sont pas :
L’autre, non moins aveugle, en sa marche étourdie,
Court à travers les flots, à travers l’incendie,
Et sa mère, sa sœur, sa femme, ses parens
Ont beau crier : prends garde à ces feux dévorans,
À ces gouffres profonds, il n’écoute personne,
Plus sourd que Fusius, lorsque dans Ilione,
Après avoir trop bu, feignant de sommeiller,
Deux cents Catiénus n’auraient pu l’éveiller.
Avançons, et prouvons que cette erreur vulgaire
N’épargne aucun mortel ou n’en épargne guère.
De vieux marbres rompus recherchant les débris,
Damasippe en tous lieux les achète à grand prix :
Je ris de son travers ; mais l’usurier crédule
Qui lui prête ses fonds, est-il moins ridicule ?
Qu’imagine en ce cas le prêteur peu discret ?
Il fait à l’emprunteur signer un bon billet :
« Reçu de Nérius dix mille grands sesterces. »
Il y joint mille nœuds, mille clauses diverses ;
Tout ce qu’en fait de prêt l’avarice inventa ;
Tous les plis et replis du noueux Cicuta.
Mais que lui serviront ces chaînes inutiles ?
Damasippe, brisant des liens si fragiles,
Saura bien, en dépit de l’obligation,
Rire, en plein tribunal, de sa précaution,
Lui, subtil débiteur, Protée inaccessible,
Sous sa forme réelle à saisir impossible,