Page:Satires d'Horace et de Perse.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LIV. II. SATIRE III.

Qu’un homme, chaque nuit, près de ses tas de grain,
Se tienne en sentinelle, un bâton à la main,
Et, de peur de toucher à ses meules de gerbes,
Pour appaiser sa faim, vive de simples herbes ;
Qu’ayant d’un vieux chio cent muids dans son cellier,
Il se condamne à boire un vin dur et grossier ;
Ou que, tandis qu’aux vers son lit sert de pâture,
À quatre-vingt-dix ans, il couche sur la dure,
Si d’insensé d’abord on ne le traite pas,
C’est que le plus grand nombre est dans le même cas.
Quoi ! pour qu’à ton décès ton fils ou ton esclave,
Même avant le convoi, déménage ta cave,
De crainte d’en manquer, vieillard maudit des dieux,
Tu n’oses savourer ce vin délicieux !
Eh ! de combien par jour décroîtrait ta fortune,
Quand tu te servirais d’une huile moins commune ?
Quand un parfum plus pur enduirait tes cheveux ?
Peu de chose, dis-tu, doit suffire à nos vœux !
Soit, mais alors, pourquoi cette soif de richesse ?
Pourquoi tromper, voler, te parjurer sans cesse ?
Qu’un maître tout à coup de fureur transporté,
Frappe et blesse un esclave à prix d’or acheté ;
Qu’il charge les passans d’une grêle de pierre ;
Les filles, les garçons, la populace entière,
À grands cris, comme un fou, le suivront en tous lieux.
Et tu te crois sensé, toi, monstre furieux,
Qui, par un double crime également infâme,
Fis périr en un jour et ta mère et ta femme !
Car enfin ce n’est point dans un soudain transport,
Ni, le glaive à la main, que tu hâtas leur mort,