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SATIRE VI.

Faites moudre vos blés ; consommez votre grain ;
Vous en avez le droit. Que craignez-vous ? demain
Cérès va vous donner une moisson nouvelle.
Mais aux bords des Bruttiens un ami vous appelle,
Dites-vous ; il demande, il lui faut des secours ;
Sa barque a fait naufrage ; et, pour sauver ses jours,
À peine s’accrochant aux rochers du rivage,
Près des dieux de sa poupe, il languit sur la plage.
Sa fortune, ses vœux, tout s’est évanoui ;
Et son fragile esquif emporté loin de lui,
Sans cordes et sans mâts, sur la plaine profonde,
Au-devant des plongeons s’éloigne au gré de l’onde.
— Eh bien ! de votre cœur suivez le doux penchant ;
Courez, et, s’il le faut, entamez votre champ,
Plutôt que de laisser partout de son naufrage
Votre ami colporter la déplorable image.
— Que j’entame mon champ ! mais, s’il ne reste entier,
Que va dire à ma mort mon avide héritier ?
Négligeant les honneurs que j’ai droit d’en attendre,
Dans une urne inodore il jetera ma cendre,
Du repas funéraire épargnera les frais,
Et, loin de rassembler les parfums les plus frais,
N’embaumera mon corps, par un calcul sordide,
Que de fade cinname ou de casse insipide.
Quoi ! vous avez toujours prospéré jusqu’ici,
Et vos biens, dira-t-il, sont écornés ainsi !
Et puis n’entends-je pas Bestius en colère :
Les voilà donc les mœurs de ce peuple sévère,
De ce peuple autrefois si simple, si grossier,
Depuis qu’avec le poivre et le fruit du dattier,