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ΛΙΘΡΟΝ.
(Mémoires de la Société de Linguistique, VI, p. 77. — 1889.)

On a coutume de rapporter λύθρον (ou λύθρος) à la même racine que λῦμα «impureté», λῡμη «souillure et ruine», λῡμαίνομαι «souiller, abîmer». Cette étymolngle a contre elle: 1° la quantité brève de l’υ de λύθρον; 2° la difficulté de faire sortir de la simple idée de souillure une signification aussi spéciale que celle du mot λύθρον; il se traduit dans Homère par «taches de sang» ou par «boue de sang, boue faite de poussière et de sang»; il désigne en médecine certains liquides sanguinolents[1]

On sait que rudhiram «rubrum» est en sanscrit un mot très usuel pour sang. Quoique étranger à la langue des Védas, cet emploi particulier de rudhira- paraît remonter à une haute antiquité, puisque le même adjectif, en germanique, n’a laissé d’autre trace de sa présence qu’un mot désignant encore le sang : vieux norrois rođra[2] (féminin faible de l’adjectif perdu).

Qu’ils datent ou non de la langue mère, de tels exemples autorisent en tous cas à chercher dans λύθρον une variante d’(ἐ)ρυθρόν. Il est à noter que, d’après Pollux, λύθρον ou λύθρος (τῆς πορφύρας) s’est dit aussi du suc tinctorial du pourpre, de sorte que le caractère commun aux diverses matières signifiées par ce mot paraît décidément résider dans leur couleur rouge. La première divergence entre ἐρυθρόν et λύθρον porte sur la «voyelle prothétique» et n’est probablement qu’une suite de la divergence des consonnes; le cas rappelle celui de λεβίνται = ἐρέβινθοι[3]. Au reste, cf. μοιχός

  1. La glosse que voici nous apprend en outre l’existence d’un verbe λυθρόω dont le sens ne devait pas s’écartor beaucoup de celui d’«ensangIanter». Hésychius, éd. Schinidt: λελύθρωται χωρίον (= χορίον) ἀαπερρωγός. Le manuscrit porte λελύθμωται.
  2. Contre la quantité longue de l’o de rođra, voy. Schade, Altdeutsches Wôrterbuch, s. v.
  3. Curtius, Grundzüge4, 346. Les deux cas ne sont pas tout à fait similaires, en ce que l’ε d’ἐρέβινθος (cf. ervum) n’est pas un ε «prothétique» comme celui d’ἐρυθρός. Je me demande d’ailleurs si λεβίνθιοι n’est pas en réalité un tout autre mot qu’ἐρέβινθος: il touche en effet de bien près à λεβηρίς, λοβός «gousse de légume».