Page:Saussure - Recueil des publications scientifiques 1922.djvu/459

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fiOTiQrr. parf, pai'irbon «Avoin besoin». 449

Dans une troisième langue, qui est le vieux prussien, la racine ferp- reparaît, avec le sens nouveau d' «utilité». Ka . . . enterpo stai Crixtisnai/ «à quoi sert le baptême, quelle est l'utilité du baptême?» Ka tennéimons enterpon' ast (was ihnen niitzlich ist) «ce qui leur est utile». Cette évolution peut avoir eu son point de départ soit dans l'idée grecque de TépTrofiai, tepirvôç (cf. alors juvare «aider, se rendre utile» à côté de juvat «il est réjouissant»), soit plus probablement dans l'idée indienne («ce qui donne satisfaction»). Quoi qu'il en soit, nous voici arrivés, si je ne me trompe, au seuil même du germanique J)arf et de sa famille.

Entre être utile et ôb'e nécessaire, entre ironver utile et avoir besoin^ il n'y a jamais eu qu'une frontière des plus incertaines. Je n'en veux pour preuve que l'allemand hrauchen, qui, signifiant d'abord notoirement utiliser, user de, à telles enseignes qu'il est le lat. frid «jouir», se retrouve dans la langue moderne avec le second sens à' avoir besoin. Dans la négation et l'interrogation, cette frontière devient même souvent impossible à observer. Ce qui est sans uti- lité est aussi sans nécessité, et le prussien ny an-terpinsquan «sans utilité» (dans le commandement: tu ne prononceras point le nom de Dieu en vain) pourrait tolérablement encore aujourd'hui se rendre en germanique par okne Bediirfnis «sans besoin >^.

Nous n'aurions pas osé cependant émettre la conjecture qu'on vient de lire, si certains emplois du germanique J)arf — au moins dans les dérivés nominaux — ne paraissaient confirmer positivement l'origine soupçonnée.

On lit dans Ulfilas {Taic, 9, 25): hwô allis paûrftê gataujip sis manna gageigands pô manasêd alla, ip sis silhin frakwistjands, tî- yôp ùjqpeXeÎTai âvOpuuTTOç Kepbriffaç tôv KÔajuov ôXov, éauxôv bè dîToXécraç ; Dans ce })a?sage, on en conviendra, le mot Jmûrfts est sensiblement ))lus éloigné par -le sens de son proche parent parf qu'il ne l'est, soit du prussien *terpinisku «l'utilité» (contenu dans anterpinsquan), soit du grec Tépijiiç, soit plus particulièrement du sanscrit /r^?</.s «la

1. Le rôle des propositions négatives et interrogatives dans la transformation du .sens des prétérito-présents, ces verbes à signification très générale, continue de s'affirmer par la suite. La dislance constatée entre le prussien «être utile» et le germanique «avoir besoin» est peu de chose en comparaison du chemin |»arcouru en pleine jjériode historique par durfan qui en est venu à signifier «avoir le droit ou l'autorisation». Or cette nouvelle modification du sens peut tenir en grande jjarlie à l'équivofjue des phrases négatives, du darfst nicht sprechcu «tu n'as pas besoin de parler* étant compris comme «tu n'as pas droit à parler», et conséquemment ilarfst isolé de la i)hrase, comme signifiant «tu as le dioit>. de Saussure, Oeuvres. '.".»

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