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nasales sonantes des désinences

Désinence -m. (Accusatif singulier et 1e pers. du sing.) L’acc. sing. pā́dam et la 1e pers. de l’imparf. ā́sam (rac. as) se décomposent en pād + m, ās + m.

D’où vient que nous ne trouvions pas « pā́da, ā́sa », comme plus haut nā́ma, dáça ? La première explication à laquelle on a recours est infailliblement celle-ci : la différence des traitements tient à la différence des nasales : pā́dam et ā́sam se terminent par un m, nā́ma et dáça par un n. C’est pour prévenir d’avance et définitivement cette solution erronée, que nous nous sommes attaché (p. 29 seq.) à établir que la nasale de dáça ne peut être que la nasale labiale ; il faut donc chercher une autre réponse au problème. Voici celle de M. Brugmann (loc. cit., p. 470) : « laissée à elle-même, la langue semble avoir incliné à rejeter la nasale, et dans dáça elle a donné libre cours à ce penchant, mais l’m dans pā́dam était tenu en bride par celui de áçva-m, et dans ā́sam par celui de ábhara-m. » Ceci tendrait à admettre une action possible de l’analogie sur le cours des transformations phonétiques, qu’on regarde d’ordinaire comme étant toujours purement mécaniques ; principe qui n’a rien d’inadmissible en lui-même, mais qui demanderait encore à être éprouvé. Si nous consultons les langues congénères, le slave nous montre l’acc. sing. matere[1] = skr. mātáram, mais imę = skr. nā́ma ; le gotique a l’acc. sing. fadar = skr. pitáram, mais taihun = skr. dáça. Ceci nous avertit, je crois, d’une différence primordiale. Plus haut nous avons admis qu’un mot indo-européen stā́mn̥ (skr. sthā́ma) restait toujours disyllabique, que, suivi d’une voyelle, il ne devenait point stāmn.[2] On peut se représenter au contraire que l’acc. patarm faisait patarm‿api, et admettre même que patarm restait disyllabique devant les consonnes : patarm‿tasya.[3] Sans doute on ne doit pas vouloir poser de règle parfaitement fixe, et la consonne finale du thème amenait nécessairement des variations ; dans les accusatifs comme bharantm, une prononciation disyllabique est impossible devant les consonnes. Mais nous possédons encore les indices positifs d’un effort énergique de la langue tendant à ce que l’m de l’accusatif ne formât pas une syllabe : ce sont les formes comme skr. ušā́m, zd. ushãm = *ušásm, pánthām, zd. pañtãm = *pánthanm[4], et une foule d’autres que M. Brugmann a traitées Stud. 307 seq.,

  1. M. Scholvin dans son travail Die declination in den pannon.-sloven. denkmälern des Kirchensl. (Archiv f. Slav. Philol. II 523), dit que la syntaxe slave ne permet pas de décider avec sûreté si matere est autre chose qu’un génitif, concède cependant qu’il y a toute probabilité pour que cette forme soit réellement sortie de l’ancien accusatif.
  2. Pour les neutres en -man qui sont dérivés d’une racine terminée par une consonne, c’est la seule supposition possible, attendu que n se trouvait alors précédé de deux consonnes (vakmn̥, sadmn̥) et que dans ces conditions il était presque toujours forcé de faire syllabe même devant une voyelle. – Pour ce qui est des noms de nombre on remarquera que le dissyllabisme de saptm̥ est prouvé par l’accent concordant du skr. saptá, du gr. ἑπτά et du got. sibun, lequel frappe la nasale.
  3. Cf. la prononciation de mots allemands comme harm, lärm.
  4. Ces formes, pour le dire en passant, sont naturellement importantes pour la thèse plus générale que la désinence de l’accus. des thèmes consonantiques est '-m et non -am.