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OBJECTIONS.

l’on voulait, en se fondant sur ukšṇás, ramener ukšábhis à ukšn̥bhis, il faudrait aussi, pour être conséquent, faire sortir çvábhis, pratyágbhis de *çunbhís, pratīgbhís. » L’argument est des mieux choisis, mais on ne doit pas perdre de vue le fait suivant, c’est que les groupes i + n, u + n, ou bien i + r, u + r peuvent toujours se combiner de deux manières différentes, suivant qu’on met l’accent syllabique sur le premier élément ou sur le second – ce qui ne change absolument rien à leur nature. On obtient ainsi : in ou yn̥ (plus exactement i̯n̥), un ou wn̥ (u̯n̥) etc. Or l’observation montre que la langue se décide pour la première ou pour la seconde alternative, suivant que le groupe est suivi d’une voyelle ou d’une consonne : çu + n + as devient çunas, non çwn̥(n)as ; çu + n + bhis devient çwn̥bhis (= çvabhis), non çunbhis. Les liquides attestent très clairement cette règle : la racine war, privée de son a, deviendra ur devant le suff. -u : uru, mais wr̥ devant le suff. -ta : vr̥ta.[1]

On pourrait encore objecter que ukšn̥bhis est une reconstruction inutile, puisque dans dhaníbhis de dhanín où il n’est pas question de nasale sonante nous remarquons la même absence de nasale que dans ukšábhis. Mais les thèmes en -in sont des formations obscures, probablement assez récentes, qui devaient céder facilement à l’analogie des thèmes en -an. On peut citer à ce propos la forme maghóšu de maghávan assurée par le mètre R. V. X 94, 14 dans un hymne dont la prosodie est, il est vrai, assez singulière. Des cas très faibles comme maghónas on avait abstrait un thème maghon- : de ce thème on tira maghóšu, comme de ukšan ukšásu.

La chronologie de la nasale sonante est assez claire pour les langues asiatiques où elle devait être remplacée dès la période indo-iranienne par une voyelle voisine de l’a, mais qui pouvait en être encore distincte. Pour le cas où la nasale sonante suivie d’une

  1. Les combinaisons de deux sonantes donnent du reste naissance à une quantité de questions qui demanderaient une patiente investigation et qu’on ne doit pas espérer de résoudre d’emblée. C’est pourquoi nous avons omis de mentionner plus haut les formes comme ćinvánti, δεικνύασι (cf. δεικνῦσι) ; ćinvánt, cf. δεικνύς. La règle qui vient d’être posée semble cependant se vérifier presque partout dans l’arien, et probablement aussi dans l’indo-européen. Certaines exceptions comme purūn (et non « purvas ») = puru + ns, pourront s’expliquer par des considérations spéciales : l’accent de purú repose sur l’u final et ne passe point sur les désinences casuelles – le gén. pl. purūṇā́m à côté de purū́ṇām a un caractère récent –; l’u est par conséquent forcé de rester voyelle : dès lors la nasale sera consonne, et la forme *purúns se détermine. Les barytons en -u auront ensuite suivi cette analogie.