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le phonème a.

4. L’e du sud répond à l’e du nord ; l’a et l’o du sud réunis répondent à l’a du nord.

5. Nous savons que lorsqu’un α grec alterne avec ε dans une racine contenant une liquide ou une nasale (non initiale), l’α est hystérogène et remonte à une sonante.

6. Or les dites racines sont les seules où il y ait alternance d’α et d’ε, ce qui signifie donc que l’a gréco-latin et l’e gréco-latin n’ont aucun contact l’un avec l’autre.

7. Au contraire l’alternance d’e et d’o dans le grec, et primitivement aussi dans l’italique, est absolument régulière (ἔτεκον : τέτοκα, τόκος. tego : toga).

8. Comment l’a et l’o des langues du sud pourraient-ils donc être sortis d’un seul et même a primitif ? Par quel miracle cet ancien a se serait-il coloré en o, et jamais en a, précisément toutes les fois qu’il se trouvait en compagnie d’un e ? – Conclusion : le dualisme : a et o des langues classiques est originaire, et il faut que dans l’a unique du nord deux phonèmes soient confondus.

9. Confirmation : lorsqu’une racine contient l’a en grec ou en latin, et que cette racine se retrouve dans les langues du nord, on observe en premier lieu qu’elle y montre encore la voyelle a, mais de plus, et voilà le fait important, que cet a n’alterne point avec l’e, comme c’est le cas lorsque le grec répond par un ο. Ainsi le gotique vagja = gr. ὀχέω, hlaf = gr. (κέ)κλοφα sont accompagnés de viga et de hlifa. Mais agis(a-) = gr. ἄχος, ou bien ala = lat. alo ne possèdent aucun parent ayant l’e. A leur tour les racines de la dernière espèce auront une particularité inconnue chez celles de la première, la faculté d’allonger leur a (agis : ōg, ala : ōl), dont nous aurons à tenir compte plus loin.

M. Brugmann a désigné par a₁ le prototype de l’e européen ; son a₂ est le phonème que nous avons appelé o jusqu’ici. Quant à ce troisième phonème qui est l’a gréco-italique et qui constitue une moitié de l’a des langues du nord, nous le désignerons par la lettre a, afin de bien marquer qu’il n’est parent ni de l’e (a₁) ni de l’o (a₂). – En faisant provisoirement abstraction des autres espèces d’a possibles, on obtient le tableau suivant :

Langues du nord. Etat primordial. Gréco-italique.
e a₁ e
a a₂
______
a
o
______
a