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la mort en croupe

Jamais ils ne sauront de quel sel ma douleur
S’irrite, de quels nœuds mon amour les enlace,
Ni comment j’ai senti que j’étais dans l’éther
Un esprit tournoyant comme une feuille morte ;
Car je ne sais rien d’eux ni de leur rêve amer.

Je suis comme un palais dont est close la porte :
Les soupirs, les clameurs viennent battre mes murs,
Les cils gardant mes yeux comme des jalousies
Laissent filtrer en moi la couleur des azurs,
Mais en atténuant si bien leurs frénésies
Que je ne vois des jours que les pâles reflets.
Je sais que mes émois me viennent de mirages ;
Le vent n’a de rumeur qu’autant que les volets
Cliquettent sur les gonds et mènent leur tapage.
Parfois, des mendiants s’asseyent sur mon seuil
Sans voir dans quel porphyre on a creusé les marches,
Ils frappent. Je n’ai pas pour eux un mot d’accueil,
Leur murmure se perd comme l’eau sous les arches.
Nul prince n’a la clef éblouissante. En toi
Je vacille comme un fantôme, ô palais morne !