Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
UNE TERRIBLE AVENTURE.

les Murs et le cours Richard, j’aurais le plaisir de passer devant ma jolie Tour de la Lanterne, pensez-vous que grand’mère en serait mécontente ?

— Je ne le crois pas, répondit la bonne, qui avait, elle, une envie folle d’aller voir les bateaux et les marins.

— Oh ! nous ne nous arrêterons pas ; nous regarderons seulement en passant sur la rive », ajouta la fillette, pour donner plus de poids à la proposition.

La nuit précédente, le vent avait soufflé en bourrasque, et pour ce motif une grande partie des barques était amarrée dans le port, spectacle charmant pour Liette et sa bonne.

Elles revinrent donc en ville par le port, elles le traversaient doucement, lorsqu’une grande rumeur et des cris poussés par une foule de gens réunis dans la cale aux morues excitèrent la curiosité de Zélia, et la firent dévier de sa route.

« Que se passe-t-il d’extraordinaire ? demanda la bonne ; on dirait vraiment que des femmes se battent ?… Eh ! oui, en voici une décoiffée par les gifles d’une autre ! »

En effet, deux mégères en furie étaient aux prises. Badauds et marins réunis autour d’elles, échangeaient, en riant, les propos les plus divers et les plaisanteries les plus salées.

Liette comprit qu’elle n’était pas là à sa place, et que si sa grand’mère la savait en cet endroit, elle en serait très mécontente.

« Allons-nous-en Zélia, dit-elle en tirant sa bonne par sa robe ; c’est ce que nous avons de mieux à faire. Ces deux femmes en colère me font peur. Partons ! »

Mais Zélia immobile, n’écoutant pas Liette, faisait des signes à quelqu’un ; et la fillette reconnut, parmi les plus proches curieux, une vieille figure de connaissance, qui, dans la joie de la revoir, la regardait en grimaçant.

C’était le rémouleur des Gerbies, le vieux père Malaquin, toujours errant sur les routes, qui, se trouvant de passage à Le Rochelle, sa meule sur le dos, s’intéressait à la querelle des poissardes : elles se disputaient la vente d’un panier de poissons qu’une barque venait de décharger.