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NOUVEAUX AMIS.

sante amitié. Cependant, un soir qu’elle entendit Harris Dillon prononcer quelques mots français, elle tendit spontanément la main au jeune homme, lui demanda où il avait appris cette langue et le pria instamment de la parler quelquefois devant elle.

Le vieux Dillon, ancien marin, jadis grand coureur des mers, conquit de la même manière l’amitié de la défiante enfant, en lui racontant des histoires amusantes sur ses voyages en France, citant les ports français qu’il avait vus. Ces noms, bien que prononcés d’une façon défectueuse, semblaient l’écho d’une langue connue de Liette et remuèrent profondément ses souvenirs !

Bordeaux ! Nantes, Lorient, Cherbourg ! Oui, elle avait appris ces noms-là. Mais quand ?

Serait-elle donc de ce doux pays de France pour tant aimer en entendre parler ? De cette France fleurie, si agréable à habiter, au dire du vieux Dillon, et dont les habitants ont toujours, paraît-il, le sourire dans les yeux et la plaisanterie sur les lèvres ? De ce pays, où le vin qu’on boit, généreux, réchauffe le cœur et donne des idées joyeuses.

N’y avait-il pas quelque ressemblance entre les récits de Dillon et le pays de ses rêves ? Elle avait vaguement conscience d’avoir contemplé autrefois un paysage riant, baigné de lumière ; d’avoir vécu parmi des gens qui, dans le travail et même dans l’affliction, gardaient une vivacité d’allure bien différente de l’humeur triste et sérieuse de ceux qui l’entouraient.

Puisqu’elle n’était pas née dans l’île de Man, n’était-il pas vraisemblable que cette France lointaine était le lieu de son berceau ?

Désormais, elle le crut ; mais, défiante et renfermée, elle garda cette supposition au fond de son âme, afin que Mrs Moore, qui ne cherchait qu’à lui déplaire, n’empêchât pas les Dillon d’en parler devant elle.

Le climat vif et brumeux de l’île de Man que la brise froide des mers du Nord entretient en toute saison, ses côtes abruptes sur lesquelles la mer déferle avec tant de fracas, la société des rudes pêcheurs et des farouches insulaires, la silencieuse Edith,