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IV

RAPPELS ET SOUVENIRS



Un soir d’automne qu’elle revenait seule et fatiguée de la côte sauvage, où elle s’était surmenée dans le travail pénible de la pêche, et où son cœur et sa dignité avaient souffert de la brusquerie et de la grossièreté de ceux qui l’avaient employée, elle songeait, en marchant, au charme d’un foyer heureux vers lequel hélas ! ses pas ne la portaient jamais. Cependant ils existent ces foyers-là, pensait-elle !

Est-ce que les filles du directeur de l’usine, miss Helen et miss Mary Mac Dermott, ne sont pas toujours souriantes et joyeuses, doucement traitées par leurs parents ! Pourquoi lui parler, à elle comme à une coupable ? Pourquoi la laisser dans l’ignorance ? Pourquoi vit-elle ainsi chez Mrs Moore, qui n’est pas sa mère et qui la garde, cependant, pour profiter de son travail, sans jamais l’en récompenser : Oui, pourquoi toutes ces injustices, qui font déborder son cœur d’amertume ?

Parce qu’elle est seule au monde, plus seule qu’une orpheline, puisqu’elle est étrangère au milieu dans lequel elle vit… Ainsi, orpheline, ignorante et malheureuse, étroitement surveillée, elle traîne jours et nuits sa chaîne et son boulet de misère ô horreur ! comme les êtres enchaînés, condamnés aux rudes travaux forcés qu’elle a vus jadis dans ses rêves….