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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Il nous prit, l’enfant et moi, et nous transporta dans sa masure où vous savez que n’entre jamais personne.

— Vous étiez chez Carter ? interrogea Harris d’une voix inquiète.

— Oui, chez le vieux Carter, et sauvé par ce pauvre misérable. Je ne sais si autrefois Carter a été un dangereux malfaiteur, mais actuellement je vous certifie qu’il est un bien brave homme. Ah ! il a dû expier ses anciens méfaits, et ils lui sont pardonnés depuis longtemps. Les hommes n’ont plus le droit de les lui rappeler, car il est bon et humain. Les yeux de mon âme étaient fermés ; c’est lui, Harris, qui les a ouverts. Carter est mon sauveur, puisqu’il est parvenu à déchirer la nuée obscure qui entourait ma mémoire. À présent, enfin ! je sais qui je suis et d’où je viens. Je revois, mon cher passé, et la possession de l’avenir me remplit d’espérance et d’allégresse.

— Je ne comprends pas, dit Harris stupéfait, comment l’ancien convict Carter a pu opérer ce prodige. Mais pardonnez-moi de vous interrompre, Liette ; continuez, je vous en prie. »

Liette reprit :

« Revenue à moi dans cette misérable cabane où je me trouvai alors seule, Carter étant parti porter l’enfant à sa famille, je cherchai à me soulever pour sortir, mais inutilement ; mes vêtements mouillés me gênaient, et le froid qui m’avait saisie m’empêchait de reprendre mes forces. Carter revint bientôt ; et pour me ranimer, il alluma un grand feu de branchages ; puis il s’offrit de me transporter au cottage.

« La pensée d’être portée et soutenue par cet homme m’effraya au point qu’il remarqua cette terreur : Ah : me dit-il d’une voix désolée, si je vous importune ou si ma présence vous terrifie, dites un mot et je disparaîtrai le temps que vous serez sous mon toit.

« — Non, répondis-je avec fermeté, restez ; pourquoi fuiriez-vous ? Ne pensons plus au passé. » Carter se détourna, sans répondre.

« Je me reposai donc devant ce feu vif dont la chaleur pénétrante séchait peu à peu mes vêtements. La flamme répandait une clarté étrange sur toutes les choses qui m’entouraient. Mes yeux se