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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Elle avait déjà souffert de cette absence momentanée, cela était visible à la négligence de son petit costume et à la tristesse de son regard, tout humide encore des larmes versées.

Que sera-ce donc plus tard, quand elle ne sera plus là ?

Lorsque l’enfant, souriante sous ses caresses, reposa bien soignée dans son berceau :

« À nous deux, dit la jeune fille, en se tournant vers Mrs Moore. Nous avons ensemble des comptes à régler. »

Et sans ménagements, d’une voix incisive, elle mit la veuve au courant de ses résolutions et lui annonça son irrévocable départ.

En écoutant cet étrange récit et en apprenant cette subite détermination, la surprise, la colère agitèrent tour à tour la vieille femme. Elle se vit désormais seule, obligée de se suffire, et cette déconvenue la bouleversa complètement. Elle lança à Liette des regards foudroyants ; la menace sur les lèvres et dans le geste, elle déclara brutalement qu’elle s’opposerait par tous les moyens à ce départ insensé.

Cela sera parfaitement inutile, répondit Liette avec calme ; ma décision est irrévocable, et je vous préviens que nulles menaces, nulle crainte n’auront de prise sur ma volonté déterminée.

— Cela n’est pas encore bien sûr, reprit la veuve, au paroxysme de la colère. Vous n’avez pas le droit de partir sans mon autorisation, sachez-le Vous n’avez que moi comme parente dans le pays. J’ai des droits et je les ferai valoir. Au surplus, quelle histoire me contes-vous ? personne ne vous connaît en France ; vous dites des folies. Taisez-vous.

— Vos droits sur moi, dit Liette avec énergie, il vous serait impossible de les prouver ! Cessez donc, Mrs Moore, vos odieux mensonges. Je n’ai jamais pu jusqu’à ce jour vous les reprocher, parce que j’ignorais quelle aventure tragique m’avait amenée sous votre toit. J’avais perdu la mémoire par suite d’une commotion cérébrale qui m’a livrée à vous. Pendent de longues années j’ai dû feindre d’accepter vos arguments, mais aujourd’hui, grâce au ciel, cette nuit terrible est dissipée. Sous l’empire d’un second ébranlement cérébral et d’une immense émotion, mes souvenirs sont revenus