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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Liette savait où habitait M. Leypeumal, tout en haut de la ville, près du jardin public. Elle n’avait qu’a suivre toujours tout droit cette longue rue qui va d’un bout à l’autre de La Rochelle.

Un grand nombre de soldats, d’officiers de toutes armes, de tous grades, sillonnaient la rue et encombraient les porches. Tout en suivant un bataillon serré de nouvelles recrues, elle aperçut en arrivant sur la place d’Armes, rangés comme en bataille, des canons, des chariots d’artillerie, des voitures d’ambulances et des fusils mis en faisceaux. La vue de tout ce matériel de guerre lui serrele cœur, et les larmes qu’elle n’avait pas versées tout à l’heure coulent à présent abondantes. Sa elle joie du matin est tombée.

Cependant, au son du clairon qui sonne et du tambour qui bat, et emportée aussi dans un mouvement de troupes en marche, elle va au pas comme le régiment qui l’entraîne.

Les soldats obliquant à gauche et laissant le chemin libre, Liette put enfin, sans hésitation, s’engager dans la rue de Bethléem.

Pourquoi cette rue, ordinairement si paisible, est-elle obstruée, en ce moment, par un millier de personnes ? La jeune fille a beaucoup de peine à arriver jusqu’à la porte cochère qu’elle aperçoit très entourée, sous laquelle autrefois « Fidèle », la jument grise de M. Loypeumal, attelée au cabriolet, a fait de si longues stations, en attendant son maître.

À l’instant où elle y parvient, un corbillard magnifique sort de la maison, orné de panaches noirs aux quatre coins et trainé par deux chevaux superbement caparaçonnés.

« Qui est mort ? » demanda Liette, haletante.

Personne ne répond. Les gens qui l’entourent, étonnés, la regardent, semblant trouver sa demande stupide. Cependant, un bon vieillard, d’une mise extravagante, ayant un panier à couvercle passé au bras, lui dit très civilement :

« C’est M. Leypeumal, notre cher ancien maire, qu’on enterre, madame. »

Ah ! Mis Moore, votre malédiction a traversé les mers ! Et le désespoir que vous avez promis, entrant profondément dans le cœur de Liette, la secoue à tel point qu’il lui enlève le sentiment