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DÉSILLUSIONS

Puis, sur le soubassement d’une petite colénne tronquée en marbre blanc :

À la mémoire de notre chère bien-aimée petite-fille disparue
le 27 février 1860.
DÉSIRÉE-JULIETTE VERLET.


Il n’en fallut pas davantage pour faire défaillir cette jeune âme, si profondément bouleversée depuis quelques heures.

Ses sanglots redoublent, elle peut à peine prier pour ceux qui l’ont tant aimée !

— Ah ! certes, elle serait bien mieux là, à cette heure, couchée inerte et pleurée que debout devant cette fausse tombe, torturée par une douleur aussi triste que la mort qui l’environne.

Elle regarde longtemps, anéantie, le mausolée sans prêter la moindre attention à ce qui se passe un peu plus loin. Quelques grosses gouttes de pluie, qui tombent comme des larmes, la rappellent à la réalité. Les assistants, par groupes, quittent le cimetière pour fuir le mauvais temps, et seuls maintenant les fossoyeurs achèvent leur lugubre besogne.

Le champ du repos retourne à son morue silence.

Liette se lève ; il faut partir avant le grain. Mais tout à coup se dresse devant elle la haute stature d’un officier supérieur, d’un certain âge. Il s’arrête devant le monument et se découvre. Son regard et celui de Liette viennent de se croiser. À ce contact une étincelle de surprise jaillit simultanément de leurs yeux, mais elle n’a que la durée de l’éclair. L’officier incline la tête en une courte et triste pensée de regret pour ceux que Liette pleure ; puis sans plus, ils se détourne et part rapidement.

De loin Liette le suit des yeux, se demandant anxieuse, quel est cet homme dont le regard l’a si profondément troublée ? Certes elle l’a vu jadis ce bon regard ; elle le reconnaît bien, mais malgré ses efforts de mémoire, elle ne parvient pas à se rappeler à qui il il appartient.

Elle s’achemine vers la ville en proie à une grande tristesse ; son grand-père, son parrain disparus, que lui reste-t-il de ceux qu’elle a aimés ?