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LA TOUR DE LA LANTERNE.

fils, et, peu après la disparition de Liette, son gendre. Malgré ces deuils successifs, il avait persisté à conserver sa « bicoque », ainsi qu’il appelait sa petite propriété, demandant seulement aux deux filles qui lui restaient de venir quelquefois distraire sa solitude.

Le veuvage de l’une et de l’autre facilita ces visites, qui plus tard devinrent pour elles une nécessité ; car, avec les années, les facultés mentales du vieil officier baissèrent considérablement ; par instant même il n’y était plus ; et la guerre de 1870 l’avait détraqué tout à fait.

Le domestique, qui le servait depuis quelques années et qui était au courant de ses vieilles manies, venait d’être appelé sous les drapeaux dans le corps des mobiles. Préoccupé de son sort, désemparé, le commandant passait ses journées à lire les journaux, les commentait et se mettait dans de violentes colères, lorsqu’il lisait un désastre. °

Liette, prévenue par Mulot et son fils de l’abaissement intellectuel de son bisaïeul, n’y prit pas garde. Si sa grand’mère, pensait-elle, était chez lui, n’était-ce pas pour elle le principal ? Grand-papa Delfossy était certainement un très bon homme dont elle ne se rappelait que vaguement le caractère. Elle le revoyait bien avec la barbiche blanche, parlant un peu fort, marchant très droit, mais elle se rappelait surtout les gâteaux et les poches de sucreries qu’il lui apportait, ce qui corrigeait considérablement dans son souvenir ce que sa personne pouvait y avoir laissé de « peu commode ».

Après s’être renseignée sur la route à suivre, Liette allait à grands pas, bien qu’elle se sentit fatiguée, non de la marche, car elle y était habituée, mais d’une certaine faiblesse qui provenait du peu de nourriture qu’elle avait pris le matin à son réveil sur le Jeune Jacques (il y avait longtemps de cela, puisque le jour commençait à baisser), et des émotions successives qu’elle avait éprouvées durant cette triste journée.

Tout à la scène de joie qu’elle prévoyait :

« Bast ! se disait-elle, je ne vais pas tarder à me refaire. Oh !