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LA TOUR DE LA LANTERNE.

On partit de la place d’Armes en suivant les remparts. M. Leypeumal profitait de ces promenades à pas lents, pour apprendre à Liette de jolies histoires des temps anciens, ou pour l’instruire sur la géographie qu’elle adorait.

« Dis-moi, parrain, lui demanda-t-elle, pourquoi n’avons-nous pas les cheveux comme ceux de Mulot, tout frisés comme les moutons noirs de Mme Pinieaz, ta métayère ?

— Parce que nous ne sommes pas des nègres.

— Et pourquoi ne sommes-nous pas des nègres ?

— Parce que nous ne sommes pas nés en Afrique ; car les habitants de l’Afrique et de certaines îles de l’Amérique, où on les a transportés pour en faire des esclaves, sont des nėgres, et ont par conséquent les cheveux crépus et la peau noire. Tandis que nous tous, en France et en Europe, nous avons les cheveux lisses et la peau blanche…

— C’est, en effet, bien plus joli. Mais dis-moi donc, parrain, pourquoi a-t-on pris les nègres pour en faire des esclaves ?

— C’étaient de pauvres hommes noirs, ne sachant rien, vivant en sauvages, et qui, en raison de leur ignorance et de leurs habitudes, n’étaient bons, pensait-on, qu’i servir les autres.

— Ah ! et c’est pourquoi Mulot est un esclave ?

— Non, Mulot n’est point un esclave ; il n’appartient à aucun maître. Mulot est libre. Il n’y a plus d’esclaves, ma petite Liette. Il n’y en a plus, depuis que la Révolution a donné la liberté à tous les hommes.

« Ceux qui servent encore aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’ils le veulent, car tous les hommes, noirs comme blancs, sont libres et émancipés. Tous les hommes sont frères, retiens cela, et les chaînes des esclaves sont brisées. Ils ont pu quitter leurs durs et incessants labeurs, leurs maîtres impitoyables, pour aller maintenant où bon leur semble. C’est ainsi que tu vois Mulot, libre et heureux’à La Rochelle, au lieu de traîner une vie misérable dans quelque coin de l’Afrique ou plutôt de la Martinique ; car je le crois originaire de cette île.

— Tu crois que ton frère Mulot est libre, parrain, eb bien ! tu te