Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
LIETTE N’AVANCE PAS EN SAGESSE.

Trouvant néanmoins quelque justesse à toutes ces observations, Mme Baude n’insista plus. Elle savait son père imbu des principes d’autorité, elle en avait un peu souffert dans sa jeunesse ; mais elle en reconnaissait volontiers les bons côtés, ne fût-ce que pour donner un peu d’harmonie aux réunions familiales ou sociales.

Mme Baude n’était pas une girouette docile aux quatre vents ; ce qu’elle pensait la veille, elle le pensait encore le lendemain ; mais comme elle aimait l’ordre d’instinct et qu’elle subissait, sans s’en douter, l’ère des réformes qui pénétrait l’esprit des gens au milieu desquels elle vivait, elle fit pointer naturellement la direction de son système éducateur, vers le milieu, le « bon milieu », le centre que nous appellerons la conciliation. Celle-ci consistait en quelques petites fessées, pas bien méchantes, mais suffisamment remémoratives.

Il fut donc convenu, après une longue tirade de M. Baude sur le même sujet, que Liette serait surveillée davantage dans la maison, et qu’elle apprendrait à travailler, afin de lui éviter le grand malheur d’être estropiée à bref délai.

Pourquoi, depuis cette mémorable résolution, la pensée d’un accident probable hantait-elle le cerveau de Mme Baude ?

On ne le saurait dire.

Il en est de ces impressions tenaces, comme de celles qu’on éprouve à l’approche d’un orage. L’air qu’on respire est moins léger, la chaleur qui vous pénètre est lourde et fatigante.

Mme Baude ressentait un malaise qui se traduisait chez elle par une sollicitude extrême pour la santé de l’enfant. Elle l’appelait souvent près d’elle : hé ! Liette, Liette ! ou bien elle examinait ses petites joues rosées, comme si elle eût craint de les voir transformées trop vite en figure de Pierrot ; ou bien encore elle la regardait dormir pour être certaine que son sommeil était bien le résultat d’un repos réparateur et qu’il ne cachait ni syncope, ni convulsions.

Un soir, dix heures venaient de sonner. La grand’mère de Liette, après l’avoir couchée et être restée quelques moments près d’elle,