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UNE NOUVELLE CONNAISSANCE.

la roue semblait tourner toute seule ; chauffée par l’acier des couteaux, aux rayons du soleil couchant, elle jetait des lueurs d’éclairs. Il ne fallait pas s’amuser.

Tout en faisant son ouvrage avec rapidité, il n’en finissait pas, le vieux rémouleur… Que c’était long !… Aussi il y en avait tant et tant de ces couteaux et de ces ciseaux… la bonne aubaine ! Comme sa femme et ses petits enfants, ce soir, seraient contents de tout l’argent qu’il rapporterait à la maison.

Et Liette, heureuse à cette pensée qui lui trottait en tête, crut devoir l’exprimer au bonhomme.

« Ma femme ! ah ! « bonnes gens », dit-il en riant, elle se moque bien de moi, ma bonne petite ; et moi aussi, du reste, je me moque d’elle et de Géromé, par-dessus le marché ! Elle m’a planté là, la gueuse ; qu’elle aille lui en demander à Géromé, maintenant ! »

Liette ne connaissait pas Gérômé. Elle ne s’en préoccupa pas ; mais en apprenant ainsi, tout à coup, que le père Malaquin était un abandonné, elle eut un serrement de cœur, comme si elle eût revu, en tableau vivant, l’abandon des petits de la chatte que la métayère de son parrain, Mme Pinteau, avait dû, devant elle, jeter un jour à la mer. Pour elle, tout abandonné devenait un être voué au malheur.

« Pauvre père Malaquin ! » fit-elle avec compassion.

Le père Malaquin comprit-il ce qui se passait dans l’âme de l’enfant ?

C’est peu probable ; mais ce qu’il pensait, lui, devait être très drôle, car il riait en plissant dans tous les sens sa vieille face jaunie.

À ce moment, une voix venant de la maison appela par trois fois : « Liettet Liette ! Liette ! »

« Je me sauve, dit-elle, on m’appelle.

— Dès que vous aurez fini l’ouvrage, vous le rapporterez, n’est-ce pas ! »

Liette revint à Ja maison, à présent remplie de monde. Les uns avaient été à la laiterie, les autres au poulailler, Tante Minette et Baude-Isart s’étaient enfermés avec les livres de comptes dans