Page:Savignon - Filles de la pluie.djvu/241

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dépensait l’argent à boire avec des amis. Il tenait table ouverte. Alors, comme ses ressources s’épuisaient, il songea à ouvrir un débit, sous son nom à elle. La situation écartée de Toul al lan n’y prêtait guère.

Louise était devenue un objet de pitié.

Elle errait, sous la menace des coups, au long des chemins, vers Saint-Michel, le soir, et l’horreur de sa condition épouvantait les îliens. Elle était inscrite pour l’abjection, comme Évangéline, qu’ils avaient tatouée d’un cœur sur la joue, comme Lucie, à qui six hommes, dans un accès de folie sadique, avaient arraché les ongles et tailladé la plante des pieds. Mais c’étaient des choses qu’on ne répétait qu’en tremblant, et que, maintenant encore, les naturels et les victimes — plusieurs vivent toujours — n’osent point évoquer, par peur et par respect d’eux-mêmes.

Il allait la contraindre de quitter sa maison pour louer un débit sur la route de Lan Pol, en face des casernes, quand un changement de compagnie fit regagner Brest au Pantinois.

Il résolut de vendre sa victime ailleurs.

Et Louise se sentait si avilie, si découragée, qu’elle ne se refusa pas à ce sacrifice que les îliennes consentent si rarement. Elle quitta