Page:Savignon - Filles de la pluie.djvu/74

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çaient au ciel leurs bêlements rauques et broutaient une herbe fine et drue qui faisait au pied un tapis moelleux. La vue de Keller l’enchantait surtout. On y découvrait une seule maison habitée par un solitaire dont l’unique distraction était de communiquer avec Ouessant en tirant des coups de fusil, dès qu’il apercevait du bout de sa lorgnette quelque figure de connaissance.

Une chaussée redoutée des navigateurs, et qui s’étend jusqu’à la bouée Callet, prolonge l’îlot vers le Nord-Ouest. On ne compte plus les navires qui, depuis des siècles, se sont jetés sur ces hauts fonds, ni ceux qui, fuyant le gros temps, et voulant s’abriter dans la baie de Béninou, ont été jetés par les courants sur Keller ou sur Cadoran. Deux mois avant, un vapeur s’était perdu là. Il reposait maintenant, par soixante mètres au-dessous du niveau des plus basses eaux, à un demi-mille de la pointe Nord-Est de Keller.

Un matin de septembre, par temps calme mais chargé de brume, le gardien de Keller avait aperçu soudain, se détachant de la grisaille ambiante, un grand steamer fonçant à toute vitesse sur l’île. L’homme souffla dans son cornet à bouquin pour avertir les naviga-