Page:Say - Œuvres diverses.djvu/175

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cepter celui d’industrie qu’on répète cent fois le jour, qui ne soit entendu de quinze ou vingt manières différentes ; tellement que si, quand je le prononcerai, chacun m’entendait à sa manière lorsque je parlerai à la mienne, au lieu de construire l’édifice de la science, nous risquerions de n’élever qu’une tour de Babel.

Lorsque l’un de vous, Messieurs, après y avoir bien réfléchi, trouvera dans mes explications une difficulté qu’il regarde comme insurmontable, je désire qu’il la rédige par écrit, à tête reposée, et qu’il me la fasse parvenir. Si la chose en vaut la peine, je lirai son observation dans une des leçons qui suivront, et je tâcherai de résoudre la difficulté avec assez de clarté pour qu’en dissipant les nuages de son esprit, je fasse disparaître ceux qui auraient pu, chez d’autres auditeurs, se former sur le même objet. C’est un des meilleurs moyens, ce me semble, qu’un professeur puisse employer pour s’assurer qu’il a été bien compris, et pour porter de la clarté sur les points obscurs[1].

Le soin de rédiger sa pensée met l’élève dans l’heureuse nécessité de la méditer, de la préciser, de la réduire à sa plus simple expression ; ce qui déjà est une excellente étude ; ce qui dans bien des cas suffit pour résoudre une difficulté ; ce qui du moins en rend la solution plus facile pour le professeur, et plus profitable pour l’auditoire. Une question bien posée est à moitié résolue.

Avec ces précautions, vous serez étonnés peut-être de ce que vous découvrirez de nouveau dans un monde bien ancien. La société est comme la géographie, où l’on fait tous les jours de nouvelles découvertes bien que le globe soit habité depuis des milliers d’années. Mais ici les découvertes sont plus importantes puisqu’elles tendent directement à améliorer notre sort. C’est là proprement le but de l’étude que nous allons entreprendre. Je vous entretiendrai des merveilles de notre intelligence. Je ne vous dirai pas comme Bossuet : Oh ! que nous ne sommes rien ! Je vous dirai : Vous êtes des hommes : Voici de quoi l’homme est capable. Oh ! que vous êtes grands, quand vous êtes éclairés !

  1. Les auditeurs de J.-B. Say ne manquèrent pas de déférer à cette invitation. Nous avons vu, dans ses papiers, plus de cinquante lettres dans lesquelles lui sont soumises des difficultés réelles ou imaginaires, ainsi qu’une foule de notes attestant le scrupule avec lequel le savant professeur remplissait sa promesse. (E. D.)