Page:Say - Œuvres diverses.djvu/210

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Il en est de même des sociétés. L’action arbitraire des législateurs, des administrateurs, plus ou moins adroite, ou maladroite, l’intervention des militaires, des prêtres, ou même des circonstances purement fortuites, peuvent leur être favorables ou contraires ; mais non les faire vivre et subsister. On ne fait pas artificiellement la vie.

C’est si peu l’organisation artificielle qui produit cet effet, que c’est dans les lieux où elle se fait le moins sentir, où elle se borne à préserver le corps social des atteintes qui nuisent à son action propre, c’est dans ces endroits, dis-je, que les sociétés politiques prennent leur plus rapide accroissement. C’est un publiciste peu avancé que celui qui ne sait point encore que la société subsiste par elle-même.


Je ne peux m’empêcher de vous citer à ce sujet une anecdote rapportée par l’abbé Galiani avec son originalité accoutumée et presque dans ses propres termes.

Un Napolitain, dit-il, sortait un matin de chez lui pour aller à la messe, et de là voir sa maîtresse selon sa coutume. Il rencontre un de ses amis qui lui apprend que le vice-roi vient de mourir. (Le royaume de Naples était alors sous la domination espagnole.) Le Napolitain est étonné, et commence à réfléchir.

Un peu plus loin, on lui dit que la nouvelle de la mort du Pape est arrivée, et que le cardinal-archevêque est parti précipitamment pour Rome : l’inquiétude le prend ; il craint que la machine sociale ne puisse pas subsister.

Enfin il apprend que le président du conseil d’État est tombé en apoplexie !!! Pour le coup : notre Napolitain n’est plus maître de lui. convaincu que tout va être bouleversé, il se sauve chez lui, il se barricade et dans l’attente d’un pillage général, il passe la nuit dans des transes mortelles.

Le lendemain, dès que le jour parait, persuadé qu’on assassine dans les rues, il se lève avec précaution, il écoute ; et comme il entend son voisin faire du macaroni, comme à l’ordinaire, il se hasarde à entr’ouvrir son rideau, et regardant à travers les jalousies, il ne remarque rien d’étrange dans la rue ; il voit avec surprise que les charrettes vont au marché comme les autres jours, que les gens s’occupent de leurs affaires, et circulent tranquillement ; il se rassure : Ho ! ho ! dit-il ; Il mondo va da se (le monde va tout seul.)