Page:Say - Œuvres diverses.djvu/297

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Mais, ne commet-on point une erreur, lorsque l’on confond un monopole qui n’ajoute rien à l’utilité d’une denrée, avec la force végétative du sol qui élabore les sucs répandus dans la terre, l’air et l’eau, pour en faire une nourriture salutaire ? Un accapareur qui ramasse tous les blés d’un canton, et se prévaut de la faculté qu’il a de vendre seul du blé, n’ajoute rien à la qualité de cette denrée ; et ce qu’il gagne sur le consommateur, est une valeur pour laquelle il ne donne à ce dernier rien en échange. Mais ce n’est point là l’opération qu’exécute un propriétaire foncier par le moyen de son instrument qui est une terre. Il reçoit les matières dont se compose le blé dans un État, et les rend dans un autre. L’action de la terre est une opération chimique, d’où résulte pour la matière du blé une modification telle qu’avant de l’avoir subie, elle n’était pas propre à la nourriture de l’homme. Le sol est donc producteur d’une utilité : et, lorsqu’un propriétaire foncier fait payer cette utilité sous la forme d’un profit foncier ou d’un fermage, ce n’est pas sans rien donner à son consommateur en échange de ce que le consommateur lui paie. Il cède à celui-ci une utilité produite, et c’est en produisant cette utilité que la terre est productive aussi bien que le travail.

Je sais fort bien qu’il y a beaucoup d’autres utilités que nous devons à l’action des forces naturelles, et que la nature ne nous fait pas payer : telle est la force productive qui crée et amène des légions de poissons sur nos côtes et dans nos filets ; mais, de ce qu’il y a des agents naturels gratuits, s’ensuit-il que les agents naturels appropriés ne produisent pas ? Nous devons tâcher de faire produire, autant que possible, par des agents gratuits, les utilités dont nous avons besoin ; mais, nous ne devons pas désirer que les terres ne soient pas des propriétés particulières. De vrai, si le champ n’appartenait à personne, et si le fermier ne payait aucun loyer, l’utilité que produit ce champ, de même que celle de l’air et de l’eau, serait livrée pour rien au consommateur qui ne paierait alors que le travail du cultivateur. Mais, cette supposition ne saurait représenter un cas réel ; car, alors un cultivateur se battrait avec un autre pour labourer un champ qui n’aurait point de propriétaire ; nul ne voudrait faire les avances de la culture, et le champ resterait en friche. Le blé serait encore plus cher qu’à présent où nous sommes obligés de payer un profit foncier au propriétaire du sol où le blé a poussé ; car nous n’aurions point alors de blé ; or, on sait que nulle marchandise n’est plus chère que celle qu’on ne peut obtenir