Page:Say - Œuvres diverses.djvu/663

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


M. MINUTIEUX,
ET LA RECHERCHE QU’IL A FAITE D’UN LOGEMENT.

Messidor an v (1797).2

Vous m’avez souvent permis, mes chers et estimables Concitoyens, de consigner dans vos annales mes observations sur les travers des hommes. Enveloppé dans mon manteau pseudonyme, j’ai mon franc-parler chez vous ; et semblable à ces juges qui, dans l’antichambre de leur tribunal, endossent leur robe magistrale avant de se montrer à l’audience, moi, je m’affuble de mon Boniface Véridick, et je parais dans la Décade. Telle société possède ce personnage dans son sein, qui ne s’en doute guère. Quant à lui, déguisé sous son vrai nom, il observe ; et pour le profit, pour l’amusement de son prochain, il peint ce qu’il a vu. Il se trouve heureux quand il peut corriger un défaut, un ridicule… Mais on ne lui procure pas souvent cette satisfaction.

Je veux vous entretenir aujourd’hui de mon ami, M. Minutieux, homme sage, mûr, très-instruit, cœur excellent, ami sincère, et dont je fais le plus grand cas ; mais qui a la manie de n’être point content jusqu’à ce qu’il ait trouvé, dans quelque genre que ce soit, précisément ce qu’il désire. Il est arrivé depuis une quinzaine de jours à Paris, où il n’était pas venu depuis une quinzaine d’années, et comme il ne savait où descendre, et que mon appartement est trop petit pour le loger, j’avais reçu une lettre de lui dans laquelle il me priait de lui en louer un pour un mois : c’était le temps qu’il voulait passer à Paris. Il ne désirait qu’un quartier tranquille, une maison propre, et des hôtes qui voulussent lui donner la nourriture aussi bien que le logement. Je lui trouvai tout cela, rue de Tournon. Il fut très-content à son arrivée de ce que j’avais fait pour lui ; mais dès le lendemain il m’écrivit le billet suivant :

« Mon cher ami, la rue est tranquille ; mais ce que nous n’avions point prévu, les derrières sont insupportables, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Un cabaret, une gargotte bruyante, a fait un enfer de la cour, ou plutôt de la basse-cour adjacente, et à peine les chansons et les disputes des buveurs ont-elles été finies, que

» les coqs par leur ramage
» Ont bientôt réveillé tout notre voisinage.

Après le ramage des poules et des coqs, les servantes ont commencé le leur ; des garçons se sont mis à rincer des bouteilles ; et jusqu’à présent je n’ai pas eu un moment de repos. Venez donc, je vous prie,