Page:Say - Œuvres diverses.djvu/679

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fille. Aussi je compte sur vous en cette occasion : voici de quoi il s’agit. M. Schweighauser, avant de conclure définitivement, a désiré que je lui donnasse quelques détails sur ma fortune et sur mes espérances ; il n’exige aucune preuve écrite, mais seulement des renseignements verbaux. Je lui ai donné votre adresse, en lui disant que vous étiez plus que personne à portée de le satisfaire à cet égard. Il connaît votre nom ; il aura la plus grande confiance dans tout ce que vous lui direz. Il s’agit de m’être utile en cette occasion. Vous m’entendez… Ce n’est pas tout : je me suis donnée pour veuve ; soutenez mon dire, car le reste aurait de quoi l’effrayer ; enfin, c’est un office d’ami que je vous demande.

— Madame, lui ai-je répondu, je ferai pour vous tout ce que vous auriez droit d’attendre d’un ami ; mais un ami lui-même ne vous promettrait pas de trahir, pour vous obliger, un galant homme qui se fierait à lui. Si votre étranger s’adresse à moi…

— Il s’y adressera après-demain sans faute.

— Je lui tairai ce que je ne serai pas absolument forcé de lui dire ; mais vous ne devez pas espérer que je fabrique une fausseté qu’il serait en droit de me reprocher, et que je me reprocherais éternellement à moi-même. »

Madame Préfleury prit alors un air très-piqué. Elle éclata en reproches ; mais, me voyant inflexible, elle fondit en larmes, se jeta à mes genoux en me disant : Vous voulez ma mort ; vous voulez perdre la mère et la fille ; vous n’avez point d’humanité. Enfin, sa désolation était au comble. Que pouvais-je faire ? lui promettre un mensonge ? Cela n’était pas eu mon pouvoir. La tromper elle-même ? c’était une trahison. Elle sortit en sanglottant, et s’écriant : Je ne supporterai jamais ce coup-là ; demain je n’existerai plus !

« Dans la vérité, sans examiner ce qui est de sa faute ou ce qui n’en est pas, je ne crois pas qu’il y ait une famille plus à plaindre. Un mari, un père devenu fou, qui ne reconnaît ni sa femme, ni sa fille ; une fortune brillante changée en un abime de dettes ; de vieux parents au dernier degré du besoin ; une fille qui a vu tuer celui qu’elle aimait, au moment où il allait devenir son époux, et qui est sur le point de voir s’échapper un nouvel adorateur, dernier espoir de toute la famille… »

Notre avocat s’arrêta tout court. Mon ami prit la parole, et lui dit : « Que regardez-vous dans les allées de ce parc ? est-ce cette compagnie folâtre qui parait sortir d’un excellent dîner, et où tout le monde, à l’envi, rit à gorge déployée ? Ce sont des gens avec qui nous avons fait ce matin le voyage, et avec qui j’ai causé presque tout le temps sur la galiote…

— Passons par ici, dit l’avocat ; j’ai des raisons pour les éviter : c’est