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En France, les opérations d’assiette et de recouvrement sont confiées, en général, pour chaque branche d’impôts ou de revenus, à une administration ou régie distincte, jouissant, dans la sphère qui lui est propre, d’une certaine antonomie. Les hauts fonctionnaires, placés avec le titre de Directeurs généraux, à la tête de chacune de ces administrations ont, dans un assez grand nombre d’affaires, un pouvoir de décision propre. Deux rouages importants servent à maintenir entre ces divers services l’unité d’action et à assurer sur chacun d’eux l’autorité et la surveillance du ministre ; ce sont : le contrôle des administrations financières, division centrale chargée d’examiner les affaires déférées au ministre par les directions générales, et le corps des inspecteurs des finances qui, dans ses tournées annuelles, vérifie les divers agents ressortissant au ministère et renseigne le ministre sur la situation des services dans les départements.

En Angleterre, la direction des finances publiques appartient, en principe, à un comité appelé bureau de la Trésorerie et composé de membres (lords) pris dans le Parlement. Le premier ministre prend en général le titre et les fonctions de premier lord de la Trésorerie, mais le rôle actif appartient, en fait, au second lord qui, sous le nom de Chancelier de l’Échiquier, est investi d’une autorité égale, sinon supérieure, à celle de nos ministres. Quand le chef du cabinet veut diriger le département des finances, il réunit en sa personne, comme l’ont fait à diverses époques sir Robert Peel et M. Gladstone, les deux offices de premier lord de la Trésorerie et de chancelier de l’Échiquier.

La multiplicité des fonctions qui incombent au ministre des finances a fait dire à Necker : « On ne peut jamais arriver à l’administration des finances qu’imparfaitement préparé, parce que cette administration est composée d’une si grande diversité de devoirs, qu’il n’est aucune éducation préalable qui puisse y rendre entièrement propre. Aussi, dans le nombre de ceux qu’on voit parvenir à ce ministère, les uns entendent particulièrement les détails de l’administration des provinces, d’autres les affaires contentieuses, d’autres les principes du commerce, d’autres la doctrine des impôts, d’autres le ménagement du crédit et les combinaisons de finance : tous ont besoin d’apprendre ; et c’est pour ce motif que les qualités générales de l’esprit et la faculté de s’instruire sont un des secours les plus nécessaires et les plus efficaces[1] ».

L’observation est juste ; un ministre des finances a toujours quelque chose à apprendre et il a besoin d’avoir auprès de lui des chefs de service habiles qui le secondent et au besoin se substituent à lui dans les diverses parties de son administration. Mais il est tout un ordre de qualités que l’expérience ne lui donnera pas et à l’absence desquelles ses collaborateurs ne pourront pas suppléer : ce sont celles qui tiennent au caractère même de l’homme.

Son premier mérite doit être l’honnêteté ; et sous ce mot nous n’entendons pas seulement une probité rigide qui le mette au-dessus du soupçon ; nous entendons encore une loyauté absolue et une sincérité complète. Il doit la vérité à lui-même, il la doit à ses collègues, il la doit aux Chambres, il la doit au pays. Son arithmétique doit être inflexible et sa première croyance, celle de don Juan : « que deux et deux sont quatre et quatre et quatre sont huit ».

La fermeté doit être également une de ses qualités essentielles. « À quoi serviraient, à écrit Necker, le génie qui forme les plans, la prudence qui les règle, la dextérité qui les fait adopter si, par faiblesse de caractère, on les abandonnait dès les premiers pas ? À quoi serviraient l’esprit et les lumières, si l’on était toujours prêt à agir contre sa pensée, ou si l’on manquait de cette volonté qui fait commencer et poursuivre, combattre et persévérer ?… Il est encore un genre de faiblesse en administration dont on est instruit par de fréquents exemples : c’est cette flexibilité de caractère qui entraîne un administrateur à dénaturer son propre ouvrage, en consentant à des exceptions ou à des modifications qui en altèrent l’esprit et les principes. Cette espèce de faiblesse est peut-être la plus dangereuse de toutes ; car l’administrateur qui souvent en rougit lui-même en secret, mais qui aime mieux exposer la réputation de ses lumières que celle de son caractère, emploie quelquefois son adresse à justifier les changements qu’il a faits contre sa propre opinion ; cependant, en agissant ainsi, il augmente ses torts, puisqu’il répand des doutes sur les principes d’administration les plus salutaires et fait de cette manière un mal qui dure longtemps après lui ».

En outre, comme le ministre des finances doit, suivant l’expression du poète,

 
Rôder, dogue aboyant, tout autour des gabelles


il faut qu’il soit armé de cette qualité ou

  1. On ne lira pas sans intérêt l’Introduction que Necker a placée en tête de son ouvrage : De l’administration des finances de la France. On y trouvera, exposées dans un ordre un peu confus et dans un style un peu pompeux, des considérations fort judicieuses sur le rôle qui incombe à un ministre des finances, sur les difficultés avec lesquelles il est aux prises et sur les qualités qu’il doit réunir. C’est également de cette Introduction que sont détachés les extraits cités plus loin.