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son école, par leurs travaux d’économie politique pure, ont à la fois élargi et précisé la science. Et, grâce à leurs travaux, nous avons pu, d’une part, assigner à l’économie politique sa juste place parmi les sciences sociales ; d’autre part, joindre au principe fondamental de la liberté le principe de la coopération sociale, c’est-à-dire de la solidarité.

D’autres que nous se recommandent de la solidarité ; mais il ne l’entendent pas de la même façon. Leur solidarité n’a rien de scientifique ni rien de général elle est quelque chose d’accidentel, elle est une des formes de la pitié, elle implique pour la société l’obligation de faire échapper des individus ou même des classes d’individus aux conséquences fâcheuses de leurs actes ou des actes d’autrui. Elle suppose un mal survenu et elle prétend le réparer. Notre solidarité a nous, a quelque chose d’inéluctable ; elle implique l’enchaînement nécessaire des actes de tous les hommes et leur répercussion fatale sur toute la société. Elle montre à l’individu ce que peuvent entraîner pour lui les fautes de ses semblables et l’intérêt qu’il a à les prévenir.

Avec cette conception, nous sommes devenus l’école de l’activité individuelle et de la responsabilité collective. L’homme formé à nos leçons comprend qu’il aura, par quelque côté, à souffrir des erreurs que peut commettre le voisin et dès lors il s’efforce de le soutenir et même de l’élever. Il ne laisse pas la société se peupler de faibles et de mendiants catalogués il ne va pas s’asseoir dans le fauteuil capitonné du socialisme d’État, moyen commode de reposer à bon compte son indifférence sur des lois plus ou moins efficaces ; spontanément, il paye de sa personne, il prêche d’exemple, il instruit, il stimule ceux qui l’entourent, il pousse chacun à la place que ses talents lui assignent.

Or, il ne faut pas craindre de dire qu’ainsi comprises les doctrines de l’école libérale, ces doctrines qu’on a dénoncées ici, comme chimériques, et là, comme insensibles, sont, sur le terrain scientifique, autrement solides, et sur le terrain philosophique, autrement consolantes, que les doctrines des écoles qui se dressent en face d’elles.

Voici, par exemple, que depuis un siècle a surgi et que, depuis quarante ans, règne à peu près incontestée, dans les sciences naturelles, la grande école de l’évolution, avec la théorie de la sélection naturelle, ou, comme dit Herbert Spencer, de la persistance du plus apte. Cette école n’ose pas encore donner ses conclusions dernières. Mais nous les pressentons tous. La lutte pour l’existence, la constante élimination des êtres les plus faibles, l’avènement inéluctable des mieux doués, qu’on nous a présentés comme nécessaires dans le monde végétal et dans le monde animal, les savants et les philosophes n’hésitent pas, dans leur for intérieur, à croire que l’espèce humaine y est, comme les autres espèces, sujette. Et devant cette affirmation, que deviennent les écoles de la sentimentalité ? Comment concilier leur vague espoir que les forts dirigeront et protégeront les faibles avec cette implacable élimination naturelle des faibles par les forts ?

Or, nous, en face de la loi de l’évolution et de la sélection naturelle, nous montrons que dans la vie sociale rien ne va si tous ne s’en mêlent ; nous expliquons le progrès par la coopération de tous nous. faisons apparaître les liens multiples et résistants qui rattachent. ensemble toutes les classes nous ennoblis-