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mique, l’autre venant de l’état des mœurs. Voici d’abord la cause économique. La petite industrie qui seule, on l’a vu, occupe encore des apprentis, n’est pas seulement atteinte dans ses attributions par la grande industrie qui chaque jour restreint son domaine, elle a été conduite peu à peu, soit afin de pouvoir lutter contre sa rivale, soit par suite d’une tendance générale de l’industrie, comme aussi par le penchant des consommateurs, à chercher le bas prix plus que la qualité, et à se diviser en infinies spécialités. Chaque ouvrier ne fait plus qu’une besogne presque machinale qui lui permet de faire beaucoup, mais demande très peu de connaissances quelques semaines de pratique suffisent pour les acquérir, sans qu’il soit besoin d’un apprentissage spécial. Les industries de luxe sont fort atteintes ceux qu’elles occupaient, comme aussi ceux qui, dans les industries moyennes, avaient appris à exécuter le travail dans toutes ses parties, ne trouvent souvent plusàs’occuper, ou bien il faut qu’ils renoncent à tirer parti du talent qu’ils ont mis si longtemps à acquérir et consentent à faire de grossiers ouvrages. Pourquoi dès lors ferait-on un long et coûteux apprentissage pour acquérir une science qui sert si peu  ?

A ces causes qui ruinent l’apprentissage il en faut ajouter d’autres qui tiennent à l’état des esprits. Le sentiment du devoir est fort diminué, on pourrait presque dire qu’il est éteint, en trop de lieux, parmi les classes laborieuses. Ni le patron qui engage les apprentis n’entend son devoir de patron, nisouvent les parents de l’apprenti ne savent remplir leur devoir de chefs de famille.

Pour le patron, l’apprenti est un instrument de gain et rien autre chose. Il l’emploiera d’abord à faire le ménage, puis, à l’atelier, il lui destinera le rôle d’un homme de peine, lui faisant faire les courses ou accomplir quelque travail machinal toujours le même. Il prendra souvent plusieurs apprentis, uniquement parce qu’il les considère comme de la main-d’œuvre à bon marché. On pense qu’il sera peu soigneux de leur enseigner le métier que souvent d’ailleurs ilne sait pas lui-même. Quant aux ouvriers, ils voient dans ces apprentis de futurs concurrents qui viennent encombrer le métier et se gardent bien de les instruire.

Au point de vue moral, quels exemples peut recevoir l’apprenti dans un atelier sans surveillance et dans un intérieur qui trop souvent, à Paris par exemple, sera un ménage irrégulier

 ? Quel langage entend-il et comment 

sera-t-il formé par de telles leçons  ?

Les parents qui ne devraient engager leur

’autre venant de l’état des mœurs. enfant qu’avec connaissance, surtout lorsqu’il d’abord la cause économique. La pe- s’agit d’une ieune fille. s’inquiètent peu d’or-

enfant qu’avec connaissance, surtout lorsqu’il s’agit d’une jeune fille, s’inquiètent peu d’ordinaire de savoir en quel milieu il va vivre. Ils ont trouvé un patron qui consent à prendre leur enfant à de bonnes conditions, quelquefois sans payement, il n’en faut pas davantage. Ravis d’être déchargés du soin etdela dépense de l’entretien de leur fils ou de leur fille, ils l’engagent avec empressement et ne se montrentnullement soucieux ensuite, quels que soient leurs justes griefs, de rompre un contrat aussi avantageux par le côtématériel.

Mais ils ne se feront pas scrupule de reti-

rer avant le temps convenu l’apprenti qu’ils jugeront assez robuste ou assez instruit du métier (on est aujourd’hui bien peu difficile en ce sens) pour l’engager ailleurs comme ouvrier. Parfois c’est l’apprenti lui-même qui abandonnera son patron. Le patron, à la vérité, a bien un recours en indemnité contre les parents, mais vu l’état notoired’insolvabilité de la plupart des familles ouvrières, c’est un recours purement illusoire. Il n’y en a guère plus contre le chef d’industriequi engage l’apprenti en faute. Il faut le découvrir et c’est aujourd’hui chose difficile, d’autant que le plus souvent il aura agi de bonne foi.

Les parents sont mieux partagés dans leur

recours contre le patron, parce que celui-ci est ordinairement solvable, mais souvent ils hésitent devant une action en justice, chose effrayante pour les gens du peuple, et il ne se trouvera pas ici, comme il se trouve toujours en matière d’accident, un agent d’affaires qui viendra offrir de se charger du procès. On peut dire que le seul contrôle efficace en matière d’apprentissage vient des sociétés de patronage que la loi de 1851, bien inspirée, a permis aux parents de se substituer (à défaut de parents, elles sont autorisées par le juge de paix). Ces sociétés se montrent soigneuses de bien choisir le patron à qui va être confié l’enfant, de régler les conditions de son engagement et de veiller à l’exécution, au besoin par une action en justice. Leur intervention est malheureusement trop rare.

Les chambres syndicales de patrons et

d’ouvriers qui s’efforcent aujourd’hui d’introduire dans les divers corps d’états une sorte d’organisation librement acceptée du travail, rangent parmi les’buts qu’elles veulent. poursuivre l’exécution des contrats d’apprentissage. Elles feraient alors ce que faisaient. les anciens corps de métiers, mais comme elles n’ont point d’autorité légale en ce sens, il faudrait, pour leur permettre d’exécuter leur dessein, une entente des chefs d’industrie qui jusqu’ici n’a pas été obtenue.


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