Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/129

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par les particuliers dans les villes où la Banque avaitdes comptoirs ; il ordonnait aux comptables publics, dans les villes pourvues de comptoirs, de tenir leur caisse en billets, sous peine de supporter la perte sur le numéraire métallique, en cas de diminution de la valeur des monnaies ; il autorisait les créanciers dans les mêmes villes à ne pas considérer comme valables les offres de leurs débiteurs, si elles n’étaient faites en billets, et à ne recevoir les métaux précieux qu’à titre d’appoint. On tentait de démonétiser le plus possible les métaux précieux et de conférer au papier de la Banque royale les propriétés monétaires.

Toutefois ces mesures, décrétées par un gouvernement qui avait déjà abusé du papier, ne pouvaient inspirer une grande confiance ; il fallait frapper les imaginations par un coup hardi, de manière à éloigner tous les soupçons, à dérouter tous les calculs et à relever la valeur des actions de la Compagnie d’Occident, qui perdaient environ 40 p. 100. Law acheta 200 actions au pair, à six mois, et paya 40 000 livres sur le prix des d 00 000 livres que ces actions représentaient, avec stipulation qu’il perdrait les 40 000 livres, si les actions ne s’élevaient pas au moins au pair. Le marché à prime était inconnu en France à cette époque, etla confiance qu’inspirait l’habileté personnelle de Law était si grande, qu’en peu de temps les actions d’Occident s’élevèrent au pair. Des bruits habilement répandus, et qui tendaient tous à faire prévoir la prospérité de la Compagnie d’Occident, avaient aussi contribué à ce résultat.

Le pas le plus difficile était fait : pour peu qu’on ait observé la marche des opérations de ce genre, on sait qu’il suffît d’imprimer au prix d’un titre un mouvement de hausse pour pouvoir ensuite, avec une habileté même médiocre, porter cette hausse assez loin. Or l’habileté de Law était grande ; il était appuyé par toutes les forces de l’autorité publique ; et il opérait sur des titres dont la valeur intrinsèque était peu connue et partant facile à exagérer. Quels rêves d’or n’était-il pas facile de faire sur les ressources que présentait le commerce d’un pays immense, neuf, inconnu, inoccupé ! Law ne laissait pas d’ailleurs les imaginations oisives : en joueur habile qu’il était, il multiplia les péripéties. En mai 1719, toutes les grandes compagnies de commerce qui Subsistaient encore furent acquises par la Compagnie d’Occident. Celle-ci prit le nom de Compagnie des Indes et fut autorisée à émettre 25 000 nouvelles actions de 500 livres chacune, payables en espèces et par vingtièmes de mois en mois : 50 livres seulement devaient être payés sur-le-champ à titre de primes, et un arrêt du 20 juin 1719 n’autorisait à souscrire les nouveaux titres que ceux qui possédaient une somme quatre fois plus forte de titres anciens. Déjà des fortunes s’étaient élevées sur la hausse des premiers titres : ils furent recherchés avec plus d’ardeur dès qu’il fallut en posséder une certaine somme pour acquérir les nouvelles actions, qui furent, pour ce motif, appelées les filles et dont la hausse fut rapide. On soutint cette hausse par des affaires nouvelles. Le 25 juin, l’État cédait à la Compagnie des Indes tout le bénéfice qu’il pourrait faire sur la fabrication des monnaies, moyennant la somme de 50 millions, payables de mois en mois en quinze termes égaux. La Compagnie émit 25 000 actions nouvelles, au capital nominal de 500 livres, mais au prix réel de 1000 livres, auquel se vendaient couramment les premières actions. Il fallait, pour être admis à souscrire les nouveaux t’tres, justifier de la possession de cinq actions anciennes pour en obtenir une de la dernière émission. On appela celles-ci les petites- filles, et elles eurent le même succès que les précédentes. La Compagnie avait assuré à ses actionnaires, à dater du 1 er janvies 1720, un dividende de 12 p. 100. Au commencement de septembre, toutes les actions étaient placées et se vendaient au prix de 5000 livres, aussi bien celles qui avaient été souscrites en billets d’État que celles dont le montant avait été fourni en espèces.

Le 2 septembre, la Compagnie des Indes faisait une nouvelle entreprise qui était, en quelque sorte, le couronnement de toutes les autres : elle avait obtenu que le bail des fermes générales, concédé aux frères Paris, fût résilié : elle le prenait elle-même au prix de 52 millions, et offrait en outre de payer 1500 millions des dettes du roi. Les créanciers de l’État étaient remboursés en assignations sur le caissier de la Compagnie des Indes pour y être payés en espèces ou en billets. Afin de faire les fonds nécessaires au remboursement, la Compagnie était autorisée à émettre des actions au porteur ou des titres de rente 3 p. 100 payables par semestre : elle devait elle-même recevoir 3 p. 100 sur les 1500 millions qu’elle fournissait au gouvernement.

Au fond, il n’y avait pas autre chose dans cette opération qu’une conversion de rentes. L’État, au lieu de payer 4 pour 100, ne payait plus que 3 pour 100 et réalisait ainsi une économie annuelle de 15 millions. La Compagnie, empruntant et prêtant également à