Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/166

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éléments de vérité et il est tourné ensuite du côté où il est faux ; mais le point de vue sous lequel il est vrai est celui du système protecteur et non du libre-échange. Si un tarif protecteur est établi pour la première fois chez un peuple donné, occupant un territoire déterminé et s’il existe déjà chez ce peuple une organisation industrielle ancienne et bien établie, on peut s’attendre à voir se produire des phénomèmes d’une apparente prospérité pendant la période v où le nouveau système fait d’abord sentir son action ; mais quand cette action a été épuisée et que de nouvelles relations commerciales se sont développées sous l’empire du nouveau tarif, c’est un simple poids mort que la nation tire après elle, à moins de répéter incessament l’opération. Mais, en répétant l’opération, on n’arrive a aucune solution finale et définitive. On a bien fait cette expérience aux États-Unis ; mais les États-Unis sont, au point de vue économique, dans la situation la plus anormale qui soit possible. La population a doublé depuis l’établissement du tarif protecteur ; à la fin de ce siècle, elle sera aussi nombreuse que celle de l’empire romain à l’époque la plus glorieuse de son histoire. Tous les cinq ans il naît un nouvel État, qui s’ajoute à la Confédération et entre dans le corps qu’exploitent les industries protégées. En dix ans, cet État possède la richesse et la population d’un Etat européen de second ordre. Pour les relations avec le reste du monde, c’est un système de colbertisme pur et simiple ; mais en dedans de la confédération, c’est le système du libre-échange le plus absolu. Il n’a jamais existé de territoire plus étendu sur lequel le libre-échange ait été institué ; car, dans l’empire romain il y avait quelques légers droits entre différentes provinces. Ce libre-échange relatif entre les différentes parties d’un pays qui couvre tout un continent et qui, abstraction faite d’une petite partie de la Russie, est aussi grande que l’Europe, fait des États-Unis, où il y a cependant un système protecteur des plus exagérés, le meilleur endroit du monde pour étudier la pratique du libre-échange. Le point où le tarif doit avoir épuisé son influence n’est pas encore atteint ; car l’accroissement du pays a le même effet qu’aurait ailleurs l’extensionpériodique du système protecteur à cause de l’état particulier d’un pays où la population a peu de densité et dont les ressources latentes sont immenses. Il n’y a pas de statistique qui puisse jeter de lumière sur cette question : la prospérité et le développement des États-Unis sont-ils dus aux tarifs, ou se sont-ils produits en dépit du tarif ? Ceux qui étudient les faits économiques ne peuvent chercher à résoudre cette question que par la connaissance qu’ils ont de la puissance économique et de la force réelle dont peuvent se servir des millions d’hommes pour maintenir leur existence à un niveau élevé de bien-être dans les conditions de la vie matérielle.

Il est absolument impossible de tirer de l’expérience d’un pays comme les États-Unis aucune conclusion qui puisse être appliquée à des pays semblables à ceux de l’Europe occidentale. Il y a pourtant des signes auxquels on peut reconnaître que le système protecteur commence à s’épuiser lui-même aux États-Unis et qu’il est prêt de se briser sous son propre poids, par l’action de ses contradictions intimes. Le dernier plan conçu par les défenseurs du protectionnisme est en conséquence d’augmenter la surface où le système s’exerce, en concluant des traités de commerce avec les États de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. Pour y arriver, les protectionnistes proposent de sacrifier le sucre et quelques autres intérêts agricoles dont ils ne peuvent plus tirer le même parti. Us payeraient ainsi les privilèges qu’ils entendent se faire réserver par les autres États de l’Amérique pour la vente de leurs produits manufacturés. Ils maintiendraient la fermeture du marché des États-Unis, et pourraient y exploiter plus complètement leur monopole puisqu’ils auraient au dehors un marché qui les soulagerait de leur trop-plein.

Si ce projet pouvait réussir, il y aurait deux mondes qui se diviseraient le globe, l’oriental et l’occidental, séparés l’un de de l’autre par des barrières commerciales, ce qui remplacerait le vieux monde mercantile formé de l’Europe et de ses dépendances et découpé en sections par le vieux système colonial.

. Protectionnisme au xix° siècle. Le nouveau protectionnisme met en avant la grande erreur de tous les vieux systèmes dont il a hérité, à savoir : que le commerce est ou peut être nuisible. Les partisans des vieux systèmes prétendaient autrefois que le commerce faisait perdre aux nations leur or ; ils prétendent aujourd’hui qu’il détruit les industries, qu’il abaisse les salaires, qu’il épuise le sol, etc. On nous donne de nouveaux moyens de juger quand il est bon ou quand il est mauvais. (V. § I, 4.) L’erreur est toujours le même. Il ne faut pourtant pas s’étonner que la nouvelle théorie du commerce libre ne puisse sans réaction ni délai remporter une victoire universelle ;