Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/212

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quelque liberté à l’initiative privée. Ces biens, en effet, sont ceux que possèdent non des individus mortels, mais des collections de particuliers incessamment renouvelées et qui par suite ne meurent pas. Il faut prendre garde que les biens appartenant à l’État, aux provinces, aux communes, bien que répondant a la définition qu’on vient de lire, ne sont pas de mainmorte, l’usage qui donne aux mots leur valeur ayant réservé ce sens aux seuls biens des associations privées ou encore à ceux que des particuliers affectent à perpétuité à une destination utile (V. Association et Fondation),

Étaient biens de mainmorte avant 1780 dans notre pays : les biens du clergé de France, c’est-à-dire ceux appartenant aux églises, aux évêchés, aux cures, aux chapitres, aux séminaires ; les biens des universités et des collèges ; ceux des corporations d’arts et métiers, ceux enfin des établissements de bienfaisance et des fondations charitables. Aujourd’hui, le mot n’a plus de valeur légale ; à le prendre dans son ancien sens, dans celui que l’usage lui a conservé, on peut l’appliquer aux biens que possèdent les églises, les évéchés, les chapitres, les cures, les séminaires, les communautés religieuses reconnues, les universités ou les établissements d’instruction supérieure fondés en conformité de la loi de 1875, les syndicats professionnels autorisés par la loi de 1884, les établissements charitables et enfin diverses associations savantes ou philantrophiques reconnues par l’État. . Raison d’être des biens de mainmorte. Le lecteur peut être surpris de trouver en 1890 les mêmes sortes de biens de mainmorte qui existaient en 1790, au moment où ils ont été détruits par la Révolution qui a fourni les principes de notre constitution politique et de notre organisation sociale actuelles. C’est que ces biens avaient une telle utilité que, malgré l’hostilité des pouvoirs publics et le fort préjugé répandu dans les esprits par les écrivains du xvm e siècle, il a fallu, lorsqu’on a remis de Tordre dans l’organisation politique et économique du pays, permettre de refaire ces biens, et rendre même à leur destination ceux que l’État avait saisis. La législation Ta fait ou permis d’abord pour les biens destinés au culte ou à des buts charitables ; elle l’a permis ensuite pour aider au développement des sciences ; elle vient de l’autoriser tout récemment pour les universités et les associations de métiers, et voici comment elle y a été conduite.

Les biens de mainmorte donnaient en France, avant 4789, un revenu suffisant pour pourvoir aux dépenses du culte, à celles de l’enseignement et de l’assistance, sauf pour ce dernier objet un certain appoint fourni par l’État. Il s’ensuivait que ces divers services étaient du ressort de compagnies privées qui se recrutaient et se conduisaient elles-mêmes. Les pouvoirs publics ne voyaient pas sans déplaisir cette indépendance, d’autant que les biens qui en étaient, l’instrument extérieur et le soutien nécessaire ne payaient pas les droits de mutation, objet de revenu important pour l’ancien fisc. Ils avaient commencé à imposer ces biens et à intervenir dans leur conduite, mais sans aller si loin que les y conviaient les écrivains du xvni e siècle, réformateurs de la société, qui n’attendaient rien que de l’État et voulaient un pouvoir très fort, ne laissant aucune attribution importante aux particuliers. C’était le gouvernement qu’ils chargeaient de renseignement, de l’assistance et même de pourvoir au culte lorsqu’ils voulaient bien en conserver un. Par suite, ils abolissaient les biens de mainmorte en les attribuant à l’État. Ils ajoutaient, pour faire goûter leur réforme, que ces biens étaient toujours trop grands pour leur objet, mal gérés d’ailleurs et mal cultivés (presque tous étaient immeubles) et qu’enfin l’État les remettant dans le commerce les ferait ainsi servir à la subsistance des familles. Les diverses assemblées révolutionnaires saisirent, en effet, tous les biens de mainmorte, ceux du clergé d’abord, puis ceux des corporations, des collèges et enfin les biens destinés à l’assistance, en s’engageant à pourvoir à tous les services auxquels ces biens étaient affectés. On sait que le budget des cultes établi par l’Assemblée constituante fut supprimé par la Convention et que les vastes plans faits en vue de l’enseignement et de l’assistance ne vinrent pas à exécution ; qu’enfin les biens saisis furent dissipés pour la plupart sans qu’aucun des services qu’ils assuraient autrefois eût été pourvu.

Ce que fît apparaître seulement la saisie des biens de mainmorte, c’est qu’ils étaient beaucoup moins importants qu’on ne l’avait cru. Ainsi, les biens ecclésiastiques en formaientlaplusgrossepart ; nous n’avons point de relevé exact de leur consistance, mais un spécialiste très compétent, M. Léonce de Lavergne, estime (Économie rurale de la France) que ces biens pourraient représenter un capital de 3 milliards donnant un revenu de 2 1/2 p. 100, soit environ 60 millions. Or, ces 60 millions assuraient le service du culte, celui de l’enseignement primaire et, en par-