Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/27

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proportionnellement plus considérable que celui qui n’a que le produit de son travail quotidien pour nourrir et élever sa famille. Je considère l’impôt mobilier comme une taxe légitimement progressive... pourvu que la progression n’ait que quatre ou cinq termes. On peut imprimer le même caractère progressif aux impôts de luxe et aux droits prélevés sur les successions, » Enfin, en laissant de côté diverses autres autorités, M. Joseph Garnier s’attache à constater le caractère progressif à rebours de certains impôts indirects à rencontre des classes pauvres et, par contre-partie, réclame l’établissement d’un impôt véritablement progressif en matière de contributions directes. Seulement, dit-il, l’impôt peut être progressif sans être spoliateur : « On peut concevoir une progression lentement progressive et limitée à un taux modéré.... . L’impôt progressif, rationnel, sérieux, est celui qui s’accroît, non pas d’une manière illimitée, mais qui s’arrête à une limite modérée, qui se perçoit en vertu d’un tarif lentement progressif, sans pouvoir dépasser une partie du revenu.. ; c’est celui que nous qualifions d’imp ôtprogressîonnel. » On voit de combien de précautions et de réserves chaque auteur entoure son adhésion au principe de la progression. Gomme le dit si bien M. Baudrillart : « On invoque l’autorité de quelques maîtres de la science, lesquels ont autrefois adressé un salut sympathique au principe de la progression, sauf à n’en faire aucun usage. » Les arguments contenus un peu pêlemêle dans ees diverses citations se résument, en somme, en deux principaux. En premier lieu l’impôt progressif permet de rétablir, dans l’ensemble du système fiscal, la véritable proportionnalité que les impôt indirects ont dérangée en sens inverse. Nous verrons bientôt, en effet, que les impôts indirects, ceux d’entre eux, du moins, qui pèsent sur les objets de première nécessité, constituent une sorte de capitation. Comme disait Jean-Jacques Rousseau : « Le riche n’a qu’un ventre non plus que deux jambes, aussi bien qu’un bouvier.» Dès lors, les taxes sur le pain, le vin, le sel, la viande, sont acquittées non pas en raison des fortunes, mais en raison des consommations individuelles : elles représentent, par rapport aux revenus, une progression de charges qui croît avec la misère. Pour contre-balancer ces funestes effets, il faut alors qu’une taxe réellement progressive redemande au riche, sous forme de contribution directe, le supplément infligé au pauvre sous forme d’impôt ir. direct.

— IMPOT

Ce premier argument possède une valeur qui ne saurait être contestée de prime abord. Aussi, dans la partie consacrée aux impôts sur les objets de première nécessité, la reproduirons-nous (en en atténuant cependant beaucoup les termes) pour conclure à la suppression de ces sortes d’impôts sur les objets de première nécessité, injustes et dépourvus de proportionnalité.

En second lieu, dit-on, l’impôt progressif est un levier, au moyen duquel de grandes réformes sociales telles que le nivellement des fortunes et la suppression des héritages peuvent être accomplis .

Avec ce second argument, nous pénétrons dans un ordre d’idées tout nouveau. Le rétablissement de la véritable proportionnalité ne suffit plus aux promoteurs de l’impôt progressif. D’après eux, la proportionnalité, si complète, si absolue qu’elle devienne, n’aboutit pas à l’égalité. Or, c’est l’égalité qu’il faut conquérir. Lorsque le pauvre donne le dixième de son revenu, il subit une privation beaucoup plus intense que le riche auquel la même quotité est réclamée ; la souffrance n’est pas égale de part et d’autre. Arracher cent francs à celui qui possède seulement mille francs de revenu, c’est le dépouiller souvent du nécessaire ; tandis que l’heureux possesseur de 100 000 livres de rente n’est atteint que dans son superflu par un prélèvement de 10000 fr. Le même dixième produit donc des effets très différents, suivant la catégorie de personnes auxquelles il est réclamé.

Cette classe de partisans de l’impôt progressif en conclut que la véritable justice consiste dans V égalité des sacrifiées. Voilà sa formule définitive. L’impôt doit occasionner pour chacun la même somme de privations. Or, les privations ne deviendront équivalentes que lorsque le nécessaire se trouvera entamé, de part et d’autre, dans la même proportion. Un tel résultat ne peut découler que du nivellement des fortunes : ce nivellement des fortunes, l’impôt progressif se chargera de le réaliser, en supprimant, ou plutôt en confisquant, au moyen de la gradation ascendante de ses tarifs, toute la partie des revenus individuels qualifiée de superflu. Telle est l’arme terrible que le système progressif peut, un jour, en vertu de théories dès à présent formulées, mettre à la disposition des passions révolutionnaires. Par son moyen, en dépit des inégalités naturelles des hommes entre eux, l’égalité des fortunes se trouvera incessamment rétablie. « Sans doute, dit Mac-Culloch, il est vrai qu’un impôt égal sur la propriété ou sur le revenu sera plus onéreux aux classes pauvres