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strictes règles fiscales, l’histoire démontre que les impôts sur le luxe ne parviennent jamais à produire qu’un très faible revenu budgétaire 1.

L’Angleterre créa un certain nombre de ces sortes de taxes à la fin du xvm e siècle. Il lui en reste encore aujourd’hui sur les domestiques mâles, sur les voitures, sur les armoiries, sur les fusils et la chasse, sur l’orfèvrerie, etc. Leur rendement n’a jamais dépassé de beaucoup les 35 millions de francs environ qu’elles procurent aujourd’hui K

En France, sous la Révolution, divers impôts sur le luxe furent annexés à la contribution mobilière. Les difficultés de leur perception et leur faible rendement les firent définitivement supprimer par la loi du 24 avril 1806 : « A compter de 1807, il ne sera plus fait de taxes somptuaires. » Cependant, les taxes somptuaires reparurent depuis, surtout après 1870-1871 ; aujourd’hui, nous possédons sous ce titre, l’impôt sur les chevaux et voitures, l’impôt sur les cercles, l’impôt sur les billards, l’impôt sur la chasse, sur les matières d’or et d’argent, sur les chiens, etc., composant un produit annuel de 38 millions 1/2 environ 3. . « Avec des tarifs modérés, dit M. Paul Leroy-Beaulieu, les taxes somptuaires sont peu productives. Avec des tarifs très élevés, elles le seraient, sans doute encore moins. » [Traité de la science des finances, 4. » édition.) . Les droits sur les tabacs et les liqueurs ne sont pas rangés dans la catégorie des impôts sur le luxe. Sans doute, le fumeur et le buveur d’alcool font une dépense superflue lorsqu’ils satisfont leur passion, mais on ne saurait dire qu’ils sont luxueux pour cela : le mot luxe comporte une idée de jouissance et d’ostentation qui ne semble pas devoir s’appliquer aux consommations populaires. Parmi les taxes somptuaires ainsi définies, nous ne comptons donc que les suivantes en Angleterre :

Droits sur les domestiques mâles… 3, 500, 000 fr*

— voitures 13 r KOO, 000

— armoiries..— i, 8oO, QOO

— chiens 0.200, 000

— lâchasse 6, 300, 000

— la vaisselle plate 1, 200, 000

— les cartes à jouer oU0, 000

, 000, 000 fr.’

. Les taxes somptuaires existant en France, calculées d’après la méthode qui vient d’être indiquée, sont les suivantes :

Droits sur les matières d’or et d’argent 4, 600, 000 fr.

— chevaux et voitures 11, 500, 000

— permis de chasse (Trésor et

communes} 9, 800, 000

— la poudre de chasse ; produit net, par évaluation 4, 000, 000

— les cartes à jouer 2, 200, 000

— les chiens (par évaluation, car aucun document budgétaire ne

récapitule le montant de ces

perceptions communales)… 6, 300, 000 Total 33, 600, 000 fr.

IMPOT

On voit que sur un total de recettes budgétaires de deux milliards et demi ou trois milliards, les taxes somptuaires, en France et en Angleterre, n’arrivent à produire que 3S ou 35 millions. Elles méritent bien, dès lors, la qualification d’improductives qui leur a été donnée tout d’abord.

C’est qu’en effet le luxe forme et formera toujours l’apanage d’une classe de la société très restreinte comme nombre en dépit de ses brillants dehors. M. Paul Leroy-Beaulieu Fa été très bien montré dans son traité de la Répartition des richesses 1. En outre, reposant sur des goûts essentiellement instables, le luxe sait à merveille se dérober, aussitôt qu’il ressent trop durement la gêne de l’impôt. En 1873, on a dû, dans l’intérêt même du Trésor, s’empresser de réduire les droits sur les permis de chasse et la poudre à tirer, inconsidérément surélevés après nos malheurs. L’impôt sur les voitures, remanié déjà à plusieurs reprises, risquerait de ruiner l’industrie de la carrosserie, s’il était poussé loin. Personne ne songe à augmenter les droits sur les matières d’or et d’argent, bien qu’il s’agisse d’ornements de bijouterie, de vaisselle plate, d’orfèvrerie, en un mot, du luxe par excellence. Pour tous ces objets, l’impôt se trouve en présence d’une clientèle forcément restreinte et capricieuse qui risque de lui échapper à la moindre gêne. Est-ce à dire qu’il faille s’abstenir de taxer le luxe ? Tout au contraire. La richesse qui se montre, l’ostentation des revenus, ne sauraient évidemment demeurer indemnes. Le fisc deviendrait inexcusable s’il fermait volontairement les yeux devant les manifestations les plus éclatantes de la fortune. Puisque le luxe s’offre spontanément, l’impôt ne peut que s’empresser de le saisir : l’éga. M. Paul Leroy-Beaulieu s’exprime ainsi : « En se promenant dans les avenues élégantes des grandes villes, en admirant de fastueux hôtels et de luxueux équipages, le bourgeois qui va à pied ou en fiacre et qui demeure au quatrième, suppose qu’il y a des dizaines de millions de personnes autour de lui ayant des centaines de mille livres de rente.

« J’ai toujours été étonné, attristé en même temps, de cette sorte de badauderïe qui change complètement la face de la société. Des réflexions nombreuses, approfondies, l’examen de tous les documents instructifs, l’étude de tous ces indices m’ont démontré que les grandes fortunes sont partout infiniment plus rares qu’on ne le suppose et que les fortunes moyennes elles-mêmes ne sont ni aussi fréquentes, ni individuellement aussi grosses qu’on l’admet… Quand on assiste à la sortie du Grand Opéra, ou au défilé du retour des courses, qu’on voit se suivre et se presser tant de brillants équipages, on a peine à échapper à une sorte de vertige et l’on croit facilement que le nombre des hommes riches est presque infini. Il n’y en a pas moins là une illusion d’optique que dissipent la réflexion et l’étude… Dans tous les pays les plus aristocratiques, non seulement la grande opulence, mais aussi la très large aisance sont exceptionnelles. » {Essai sur la répartition des richesses.)

l’éga-