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public rétabli. Mais Necker n’osa prendre ensuite aucune responsabilité financière ; il concentra tous ses efforts vers la convocation des états généraux, en songeant vaguement à un essai de constitution anglaise, et ne voulut ni emprunter, ni établir de nouveaux impôts ; au mois de décembre, il se vit contraint de demander des secours à la Caisse d’escompte et de suspendre les remboursements de cet établissement.

Des mesures ayant pour but d’assurer les approvisionnements de céréales avaient lourdement aggravé la situation financière. Entré au ministère à la fin d’août 1788, Necker avait procédé à une enquête sur l’état de la récolte ; les intendants ayant donné des réponses peu favorables, il avait, sans attendre de plus amples renseignements et par simple arrêt du conseil (7 septembre), révoqué l’autorisation d’exporter les grains qu’une loi solennelle avait accordée l’année précédente (juin 1787). L’arrêt était précédé d’un préambule qui avait jeté l’inquiétude dans les esprits et accentué la hausse des grains, légère jusque là. Alors Necker, oubliant l’origine de sa propre fortune et le livre qu’il avait publié en 1775, s’attaqua à la liberté intérieure du commerce des grains et poursuivit de ses menaces les spéculateurs en céréales ; il leur interdit toute l’onction publique, renouvela l’ancienne obligation de ne vendre les grains qu’au marché et autorisa les magistrats de police à faire approvisionner les marchés par ceux qui avaient des blés en grenier. Des perquisitions furent faites sans autre résultat que d’arrêter tout commerce. Les seules opérations des négociants consistèrent désormais à essayer de toucher les primes accordées aux blés étrangers, en faisant rentrer par une frontière des grains sortis par une autre 1 . Cependant aux yeux d’observateurs désintéressés, la disette n’était qu’une « disette d’opinion » ; la récolte de 1787 avait été bonne ; les exportations et les importations s’étaient balancées ; en 1788 il n’y avait eu de cherté nulle part ; si la grêle avait fait des ravages dans quelques régions, le désastre n’avaitpas atteint toutelaFrance.« Partout où j’ai passé », dit Arthur Young, qui voyageait alors dans notre pays, « partout où j’ai passé et c’est la plus grande partie du royaume, je me suis enquis des causes de la disette et partout Ton m’a assuré qu’elle était d’autant plus extraordinaire que la récolte, sans être bonne, ne s’écartait pas beaucoup de la moyenne ». Ce témoignage est confirmé par i. Ces primes avaient été accordées par arrêt du conseil du 23 novembre 1788, renouvelé le 20 avril 1789 et à des dates subséquentes.

beaucoup d’autres. Si les grains faisaient défaut, c’est que les agriculteurs et les négociants, découragés par les menaces et les perquisitions, les gardaient et les cachaient. La situation s’aggrava encore parce que Necker entreprit de suppléer par lui-même à l’insuffisance du commerce ; il acheta du blé en Amérique, sur les côtes de la Méditerranée, en Angleterre, en Hollande etàDantzig, en annonçant partout ses démarches avec emphase ; il suivit, de sa propre main, la correspondance nécessaire, sollicita des puissances étrangères les permissions d’extraction, forma des entrepôts, commanda des distributions de grains à certaines villes et des secours en argent à d’autres, fit des avances aux boulangers et fariniers, remplaçant partout avec une funeste activité le cours normal des choses par l’intervention gouvernementale. Soixante-dix millions dépensés en achats de grains procurèrent à la France de quoi se nourrir pendant quelques jours avec des blés de mauvaise qualité ou avariés ; mais l’effet moral de ces 70 millions fut considérable. « Le prix haussa, à ma connaissance, de 25 p. 100 », dit Arthur Young, quand tous les achats n’étaient pas encore faits et qu’il n’avait été dépensé que 45 millions, et le même auteur ajoute : « M. Necker, en s’abstenant, aurait épargné 45 millions à l’État et prévenu la mort de plusieurs milliers d’hommes que la hausse du prix fit périr quoiqu’il n’existât réellement pas de disette ». Les parlements, les intendants, les officiers de police avaient suivi, avec une sorte de fureur, l’impulsion donnée par le ministre et interdit l’exportation d’une province à l’autre ou d’une localité à l’autre, de sorte que la circulation intérieure se trouva complètement troublée. Un des premiers soins de l’Assemblée constituante fut de remédier à ce désordre, mais l’application de ses décrets fut constamment contrariée par le gouvernement. Dans un Mémoire instructif qu’il remit au comité des subsistances et qui fut rendu public, Necker constata « qu’on a souvent eu lieu de se plaindre de la cupidité des spéculateurs », et pour bien établir que la France était en état de disette, il annonça que le roi était dans une « inquiétude continuelle » au sujet de l’approvisionnement de Paris et qu’on serait « peut-être » dans la nécessite de se contenter d’un pain mêlé de seigle et de froment. Les cours s’élevèrent de 30 p. 100 en une semaine ; la disette se changea en famine ; les accapareurs furent poursuivis ; les meurtres et les émeutes se multiplièrent. Telles furent les conséquences de mesures prises par un ministre bien intentionné, mais ^ trop désireux de contenter l’opinion et trop *"