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PAUPÉRISME — 450 —

fiortà la désigner. Ce mot est une expression anglaise, introduite depuis une soixantaine d’années 1 ; il désigne l’état d’un certain nombre d’individus manquant d’une manière permanente des objets nécessaires à la vie. Le paupérisme est un état nouveau aussi bien par ses causes que par son caractère. Son origine est due à l’organisation industrielle de notre époque contemporaine ; elle réside dans la manière d’être et de vivre des ouvriers de manufactures. « Qu’est-ce qu’une manufacture ? C’est une invention qui produit deux articles : du coton et des paurres. » Évidemment le mot est exagéré et on aurait tort de le prendre à la lettre ; mais il contient cependant une certaine part de vérité. C’est, en effet, à l’industrialisme qu’il faut attribuer le paupérisme. Autre chose était la misère dans l’antiquité ou au moyen âge, autre chose elle est dans nos civilisations modernes, où la séparation des classes, d’une part, la création de la grande industrie, d’autre part, lui ont donné une intensité et, en même temps, une étendue inconnues jusqu’ici. Certains écrivains, empruntant les images de la fable antique, ont baptisé la civilisation moderne d’un nom, le sisyphisme. On se souvient de ce malheureux, condamné par Pluton à rouler une grosse roche jusqu’au sommet d’une montagne, d’où elle retombait aussitôt et à la remonter sans trêve : le sisyphisme signifie donc la tâche qui jamais ne s’achève, les efforts ingrats et stériles. Si l’on veut analyser le paupérisme, l’on doit reconnaître qu’il a ses symptômes spéciaux. Non seulement il implique une privation de choses nécessaires à l’existence et une privation de nature à atteindre gravement la vie, non seulement aussi il suppose un anéantissement du moral, un abaissement et une corruption des facultés mentales, mais encore il offre des conditions particulières, sans lesquelles il n’existerait pas. En premier lieu, on rencontre celui de l’agglomération et de la concentration des individus, des familles, des populations en proie à des privations ; il n’y a pas paupérisme, si le dénuement fait seulement sa victime de certains individus ou même de certaines familles isolées, autour desquelles vivent fortement ( et sainement des populations placées dans de meilleures conditions. « Le paupérisme, dit M. Modeste, c’est la pauvreté accumulée, grandie et étendueà des populations entières, i. Les Anglais ont Tait d’abord de l’adjectif latin pauper nn substantif, par lequel ils déâigcont, non pas l’homme qui est pauvre en général, mais celui qui est indigent et qui reçoit une assistance de la paroisse (a pauper) ; ils y ont ensuite ajouté la terminaison ism, qui exprime toujours une généralisation de la chose ou de l’idée désignée par un radical quelconque.

PAUPÉRISME

qui forment à la surface d’un pays comme d’immenses flaques de dénuement et de corruption, vastes foyers d’infection et de souffrance, qu’on ne visite pas sans tristesse, où les familles ouvrières ne résident pas sans atteinte, et qu’une société ne porte pas dans son sein sans péril. Là, plus de ces parties saines qui limitent le mal et l’arrêtent ; une famille malheureuse confine à une famille malheureuse. Le reste est trop peu nombreux, trop haut, trop loin. Les misères alors ne se juxtaposent pas seulement, elles se multiplient l’une par l’autre. Tout, en effet, en ce monde, a sa force de rayonnement : lasanté comme la chaleur, l’honnêteté comme le crime, l’aisance, l’énergie, la misère enfin. .. » Le paupérisme agit donc par la contagion de l’exemple ; aussi Fa-t-on parfois appelé l’épidémie de la misère. Ce n’est pas tout : le paupérisme ne se caractérise pas seulement par l’étendue et l’agglomération, mais encore par la persistance. C’est un mal chronique ; c’est la misère acceptée, permanente, s’élargissant à chaque génération, par suite de l’imprévoyance qu’elle entraîne, défiant les efforts de la charité, devant laquelle elle creuse un abîme presque infranchissable. Enfin, car nous ne pouvons nous appesantir davantage sur les caractères du paupérisme, celui-ci étant la misère héréditaire et impliquant la privation pour plusieurs générations successives des choses les plus nécessaires à l’existence, se manifeste également au physique par la dégénérescence de la race, l’anémie, les maladies d’épuisement et par le déclin des forces. Cette maladie sociale sévit, avons-nous dit, dans les centres manufacturiers, où elle trouve des conditions favorables à son éclosion et à son développement (V. toutefois § 3) ; dous ne la rencontrerons pas dans les campagnes, au milieu des populations rurales, qui sont réfractaires à ce mal comme à tant d’autres maladies. Au reste, l’indigence rurale, sous toutes ses formes, est, du moins en France, moins intense que celle des villes, et elle est beaucoup plus supportable ; les causes de misère sont moins nombreuses et moins actives ; la population pauvre est plus clairsemée ; les conditions du travail et de la vie matérielle sont moins mauvaises. Mais si l’indigence des campagnes est moins grave que celle des villes, il n’y a peut-être point là un fait absolument nécessaire, et il a pu se trouver des contrées ou se produire des époques dans lesquelles la situation était inverse. Pour ne parler que de la France, la misère, aux siècles antérieurs, était peut-être un fait plus général et même plus grave dans les campagnes que