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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XI.

d’entrepreneurs, en tous les genres d’industrie, dans les temps prospères, produisent assez pour augmenter à la fois leurs dépenses et leurs épargnes ! Ce qui est vrai d’une entreprise particulière peut l’être de la majeure partie des entreprises d’une nation. Les richesses de la France s’accrurent pendant les quarante premières années du règne de Louis XIV, malgré les profusions du gouvernement et des particuliers, excitées par le faste de la cour. Le mouvement imprimé à la production par Colbert multipliait les ressources plus vite encore que la cour ne les dissipait. Quelques personnes s’imaginent qu’elles se multipliaient par la raison que la cour les dissipait ; c’est une erreur grossière, et la preuve en est, qu’après la mort de Colbert, les profusions de la cour allant du même pas, et la production ne pouvant plus les suivre, le royaume tomba dans un épuisement affreux. Rien ne fut plus triste que la fin de ce règne.

Depuis la mort de Louis XIV, les dépenses publiques et particulières ont encore augmenté[1], et il me paraît incontestable que les richesses de la France ont augmenté aussi : Smith lui-même en convient ; et ce qui est vrai de la France, l’est, à différens degrés, de la plupart des autres états de l’Europe.

Turgot partage l’opinion de Smith[2]. Il croit qu’on épargne plus qu’on ne fesait autrefois, et fonde cette opinion sur le raisonnement suivant : le taux de l’intérêt, en temps ordinaire, est, dans la plupart des pays de l’Europe, plus bas qu’il n’a jamais été ; cela indique qu’il y a plus de capitaux qu’il n’y en a jamais eu ; donc on a plus épargné pour les amasser qu’on ne l’a fait à aucune autre époque.

Cela prouve ce dont on convient, c’est-à-dire, qu’il y a plus de capitaux qu’autrefois ; mais cela ne prouve rien sur la manière dont ils ont été acquis, et je viens de montrer qu’ils peuvent l’avoir été par une production supérieure, aussi bien que par une économie plus grande.

  1. Cette augmentation dans les dépenses n’est pas seulement nominale, et ne tient pas uniquement à ce que la même quantité d’argent a pour dénomination un plus grand nombre de livres ou de francs. L’augmentation des dépenses est réelle. On consomme une plus grande variété de produits, et des produits plus fins et plus recherchés ; et, quoique l’argent fin vaille intrinsèquement à peu près autant qu’il valait sous Louis XIV (puisque la même quantité d’argent achète la même quantité de blé), dans les mêmes rangs de la société, on dépense une plus grande quantité d’argent, non pas en nom seulement, mais en poids.
  2. Voyez les Réflexions sur la formation et la distribution des Richesses, § 81.