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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

De la nature des produits immatériels, il résulte qu’on ne saurait les accumuler, et qu’ils ne servent point à augmenter le capital national. Une nation où il se trouverait une foule de musiciens, de prêtres, d’employés, pourrait être une nation fort divertie, bien endoctrinée, et admirablement bien administrée ; mais voilà tout. Son capital ne recevrait de tout le travail de ces hommes industrieux aucun accroissement direct, parce que leurs produits seraient consommés à mesure qu’ils seraient créés.

En conséquence, lorsqu’on trouve le moyen de rendre plus nécessaire le travail d’une de ces professions, on ne fait rien pour la prospérité publique ; en augmentant ce genre de travail productif, on en augmente en même temps la consommation. Quand cette consommation est une jouissance, on peut s’en consoler ; mais quand elle-même est un mal, il faut convenir qu’un semblable système est déplorable.

C’est ce qui arrive partout où l’on complique la législation. Le travail des gens de loi, devenant plus considérable et plus difficile, occupe plus de monde et se paie plus cher. Qu’y gagne-t-on ? D’avoir ses droits mieux défendus ? Non, certes : la complication des lois est bien plutôt favorable à la mauvaise foi, en lui offrant de nouveaux subterfuges, tandis qu’elle n’ajoute presque jamais rien à la solidité du bon droit. On y gagne de plaider plus souvent et plus long-temps.

On peut appliquer le même raisonnement aux places superflues instituées dans l’administration publique. Administrer ce qui devrait être abandonné à soi-même, c’est faire du mal aux administrés, et leur faire payer le mal qu’on leur fait comme si c’était un bien[1].

Il est donc impossible d’admettre l’opinion de Garnier[2], qui conclut de ce que le travail des médecins, des gens de loi et autres personnes semblables, est productif, qu’il est aussi avantageux à une nation de le multiplier que tout autre. On est heureux sans doute de pouvoir se procurer un bon médecin lorsqu’on n’a pu éviter une maladie ; mais il vaut mieux encore n’être pas malade. Compliquer les lois pour les faire débrouiller par les légistes, c’est se donner un mal pour prendre la peine de le guérir. Les produits immatériels, comme les autres, ne sont des produits qu’autant que l’avantage qui en résulte ne peut être acquis à moins de

  1. Que penser, d’après cela, de tant de phrases qu’on entend prononcer, analogues à celle-ci : Telle formalité, tel impôt produisent toujours un bien, qui est de faire vivre un bon nombre d’employés, de percepteurs ?
  2. Traduction de Smith, note 20.