Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

exercice qu’il y prend, la gaîté qu’il y respire, sont des biens aussi, et ce ne sont pas les moins précieux. Qu’il dispose donc son terrain selon sa fantaisie ; qu’on y voie l’empreinte de son goût, et même de son caprice : mais si, jusque dans ses caprices, il y a un but d’utilité ; si, sans recueillir moins de jouissances, il recueille aussi quelques fruits, alors son jardin a bien un autre mérite ; le philosophe et l’homme d’état s’y promèneront avec plus de plaisir.

J’ai vu un petit nombre de jardins riches de cette double production. Le tilleul, le marronnier, le sycomore, les autres arbres d’agrément n’en étaient point exclus, non plus que les fleurs et les gazons ; mais les arbres fruitiers embellis de fleurs au printemps, et de fruits en été, contribuaient à la variété des teintes et à la beauté du lieu. Tout en cherchant l’exposition qui leur était favorable, ils suivaient les sinuosités des clôtures et des allées. Les plates-bandes, les planches garnies de légumes n’étaient pas constamment droites, égales, uniformes, mais se prêtaient aux légères ondulations des plantations et du terrain ; on pouvait se promener dans la plupart des sentiers tracés pour la commodité de la culture. Jusqu’au puits couronné de vigne, où le jardinier venait remplir ses arrosoirs, était un ornement. Tout semblait avoir été mis là pour convaincre que ce qui est joli peut être utile, et que le plaisir peut croître au même lieu que la richesse.

Un pays tout entier peut de même s’enrichir de ce qui fait son ornement. Si l’on plantait des arbres partout où ils peuvent venir sans nuire à d’autres produits[1], non-seulement le pays en serait fort embelli, non-seulement il serait rendu plus salubre[2], non-seulement ces arbres multipliés provoqueraient des pluies fécondantes ; mais le seul produit de leur

  1. Dans beaucoup de pays, on croit trop aisément que les arbres nuisent aux autres produits. Il faut bien qu’ils augmentent plus qu’ils ne diminuent les revenus des terres, puisque les pays les mieux plantés, comme la Normandie, l’Angleterre, la Belgique, la Lombardie, sont en même temps les plus productifs.
  2. Les feuilles des arbres, sous l’influence de la lumière solaire, absorbent le gaz acide carbonique que la combustion et les fermentations organiques versent constamment dans l’atmosphère. C’est ce gaz délétère qui, lorsqu’il est trop abondant, asphyxie et fait périr les êtres animés. L’expérience et la théorie tendent à prouver que les végétaux augmentent chaque jour la quantité de gaz oxigène libre dans l’atmosphère, ce qui le rend plus pur. Toutes choses d’ailleurs égales, les villes les plus saines sont celles où l’on trouve beaucoup d’espaces ouverts et plantés d’arbres. On devrait en mettre sur tous les quais.