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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

du droit de propriété ; le jurisconsulte peut établir les règles qui président à la transmission des choses possédées ; la science politique peut montrer quelles sont les plus sûres garanties de ce droit ; quant à l’économie politique, elle ne considère la propriété que comme le plus puissant des encouragemens à la multiplication des richesses. Elle s’occupera peu de ce qui la fonde et la garantit, pourvu qu’elle soit assurée. On sent, en effet, que ce serait en vain que les lois consacreraient la propriété, si le gouvernement ne savait pas faire respecter les lois, s’il était au-dessus de son pouvoir de réprimer le brigandage ; s’il l’exerçait lui-même[1] ; si la complication des dispositions législatives et les subtilités de la chicane rendaient tout le monde incertain dans sa possession. On ne peut dire que la propriété existe que là où elle existe non-seulement de droit, mais de fait. C’est alors seulement que l’industrie obtient sa récompense naturelle et qu’elle tire le plus grand parti possible de ses instrumens : les capitaux et les terres.

Il y a des vérités tellement évidentes, qu’il paraît tout-à-fait superflu d’entreprendre de les prouver. Celle-là est du nombre. Qui ne sait que la certitude de jouir du fruit de ses terres, de ses capitaux, de son labeur, ne soit le plus puissant encouragement qu’on puisse trouver à les faire valoir ? Qui ne sait qu’en général nul ne connaît mieux que le propriétaire le parti qu’on peut tirer de sa chose, et que nul ne met plus de diligence à la conserver ? Mais en même temps combien, dans la pratique, ne s’écarte-t-on pas de ce respect des propriétés qu’on juge si avantageux en théorie ! Sur quels faibles motifs n’en propose-t-on pas souvent la violation ! Et cette violation, qui devrait exciter naturellement quelque indignation, qu’elle est facilement excusée par ceux qui n’en sont pas victimes ! Tant il y a peu de gens qui sentent avec quelque vivacité ce qui ne les blesse pas directement, ou qui, sentant vivement, sachent agir comme ils savent penser !

Il n’y a point de propriété assurée partout où un despote peut s’emparer, sans leur consentement, de la propriété de ses sujets. La propriété n’est guère plus assurée, lorsque le consentement n’est qu’illusoire. Si,

  1. La force d’un particulier est si peu de chose, comparée à la force de son gouvernement, que les particuliers n’ont de moyens assurés de se garantir des exactions, des abus d’autorité, que dans les pays où leurs droits sont protégés par la liberté de la presse qui révèle tous les abus, et par une véritable représentation nationale qui les réprime.