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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

Mais l’intérêt personnel n’offre plus aucune indication, lorsque les intérêts particuliers ne servent pas de contre-poids les uns pour les autres. Du moment qu’un particulier, une classe de particuliers peuvent s’étayer de l’autorité pour s’affranchir d’une concurrence, ils acquièrent un privilége aux dépens de la société ; ils peuvent s’assurer des profits qui ne dérivent pas entièrement des services productifs qu’ils ont rendus, mais dont une partie est un véritable impôt mis à leur profit sur les consommateurs ; impôt dont ils partagent presque toujours quelque portion avec l’autorité, qui leur a prêté son injuste appui.

Le législateur a d’autant plus de peine à se défendre d’accorder ces sortes de priviléges, qu’ils sont vivement sollicités par les producteurs qui doivent en profiter, et qui peuvent représenter, d’une manière assez plausible, leurs gains comme un gain pour la classe industrieuse et pour la nation, puisque leurs ouvriers et eux-mêmes font partie de la classe industrieuse et de la nation[1].

Lorsqu’on commença à fabriquer des cotonnades en France, le commerce tout entier des villes d’Amiens, de Reims, de Beauvais, etc., se mit en réclamation, et représenta toute l’industrie de ces villes comme détruite. Il ne paraît pas cependant qu’elles soient moins industrieuses ni moins riches qu’elles ne l’étaient il y a un demi-siècle ; tandis que l’opulence de Rouen et de la Normandie a reçu un grand accroissement des manufactures de coton.

Ce fut bien pis quand la mode des toiles peintes vint à s’introduire : toutes les chambres de commerce se mirent en mouvement ; de toutes parts il y eut des convocations, des délibérations, des mémoires, des députations, et beaucoup d’argent répandu. Rouen peignit à son tour la misère qui allait assiéger ses portes, les enfans, les femmes, les vieillards dans la désolation, les terres les mieux cultivées du royaume restant en friche, et cette belle et riche province devenant un désert.

  1. Comme on ignore, en général, quels sont ceux qui paient ces gains du monopole, souvent personne ne réclame. Les consommateurs eux-mêmes, qui en souffrent, sentent le mal sans pouvoir en assigner la cause, et sont quelquefois les premiers à outrager les personnes éclairées qui élèvent la voix en leur faveur.