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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

tème de prohibition que j’ai supposé général, mais qui ne l’est pas, et qui, quand il le serait par les lois, ne le serait pas par le fait. Quelques droits d’entrée qu’on mît sur l’introduction en France des vins de Champagne ou de Bordeaux, de tels droits ne feraient pas que les propriétaires de ces vins parvinssent à les mieux vendre, car ils en possèdent déjà le monopole. Une foule d’autres producteurs, tels que les maçons, les charpentiers, les marchands en boutique, etc., n’ont absolument rien à gagner par l’exclusion donnée aux marchandises étrangères, et cependant ils souffrent de cette exclusion. Les producteurs de produits immatériels, les fonctionnaires publics, les rentiers, sont dans le même cas[1].

En second lieu, les gains du monopole ne se partagent pas équitablement entre tous ceux qui concourent à la production que favorise le monopole : les chefs d’entreprises, soit agricoles, soit manufacturières, soit commerciales, exercent un monopole non-seulement à l’égard des consommateurs, mais encore, et par d’autres causes, à l’égard des ouvriers et de plusieurs agens de la production, ainsi qu’on le verra au livre II. Il est possible que nos couteliers gagnent un peu plus en raison de la prohibition des couteaux anglais, mais leurs ouvriers et beaucoup d’autres agens de cette industrie ne profitent en aucune façon de cette prohibition ; de manière qu’ils participent, avec tous les autres consommateurs, au désavantage de payer les couteaux plus cher, et ne participent pas aux gains forcés des chefs d’entreprises.

Quelquefois les prohibitions non-seulement blessent les intérêts pécuniaires des consommateurs, mais les soumettent à des privations

  1. Il peut être piquant de remarquer à ce sujet que les gens qui établissent les prohibitions, sont au nombre de ceux sur qui leur poids tombe principalement. Ils ne s’en dédommagent souvent que par une autre injustice ; et lorsqu’ils ont l’autorité en main, ils augmentent leurs traitemens. D’autres fois, et lorsqu’ils s’aperçoivent que le monopole pèse spécialement sur eux, ils le font abolir. En 1599, les fabricans de Tours demandèrent à Henri IV de défendre l’entrée des étoffes de soie, d’or et d’argent, que jusqu’à cette époque on avait en totalité tirées de l’étranger. Ils flattaient le gouvernement qu’ils fourniraient à toute la consommation qui se fesait en France de ces étoffes. Henri, beaucoup trop facile sur ce point, comme sur plusieurs autres, leur accorda tout ce qu’ils voulurent ; mais les consommateurs, qui étaient principalement la haute société et les gens de la cour, jetèrent les hauts cris. On leur fesait payer plus cher des étoffes qu’ils achetaient auparavant à meilleur marché, l’édit fut révoqué au bout de six mois. (Voyez les Mémoires de Sully, liv. II.)