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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

plus loin, que dans les charges et les emprunts publics. Toute application neuve de la puissance d’un capital est, dans ces lieux-là, un objet de méfiance ou de dédain, et la protection accordée à un emploi de travail et d’argent vraiment profitable, peut devenir un bienfait pour le pays.

Enfin, telle industrie peut donner de la perte à un entrepreneur qui la mettrait en train sans secours, et qui pourtant est destinée à procurer de très-gros bénéfices quand les ouvriers y seront façonnés, et que les premiers obstacles auront été surmontés.

On possède actuellement en France les plus belles manufactures de soieries et de draps qu’il y ait au monde : peut-être les doit-on aux sages encouragemens de Colbert. Il avança 2,000 francs aux manufacturiers par chaque métier battant ; et, pour le remarquer en passant, cette espèce d’encouragement avait un avantage tout particulier : communément le gouvernement lève, sur les produits de l’industrie privée, des contributions dont le montant est perdu pour la reproduction. Ici une partie des contributions était réemployée d’une manière productive. C’était une partie du revenu des particuliers qui allait grossir les capitaux productifs du royaume. À peine aurait-on pu espérer autant de la sagesse et de l’intérêt personnel des particuliers eux-mêmes[1].

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner combien les encouragemens, en général, ouvrent d’entrées aux dilapidations, aux faveurs injustes et à tous les abus qui s’introduisent dans les affaires des gouvernemens. Un homme d’état habile, après avoir conçu le plan le plus évidemment bon, est souvent retenu par les vices qui doivent nécessairement se glisser dans son exécution. Un de ces inconvéniens est d’accorder, comme cela arrive presque toujours, les encouragemens et les autres faveurs dont les gouvernemens disposent, non à ceux qui sont habiles à les mériter, mais à ceux qui sont habiles à les solliciter.

Je ne prétends point, au reste, blâmer les distinctions ni même les récompenses pécuniaires accordées publiquement à des artistes ou à des artisans, pour prix d’un effort extraordinaire de leur génie ou de leur adresse. Les encouragemens de ce genre excitent l’émulation et accrois-

  1. Je suis bien éloigné d’approuver également tous les encouragemens donnés sous le même ministère, et surtout les dépenses faites en faveur de plusieurs établissemens purement de faste, et qui, comme la manufacture des Gobelins, ont constamment coûté plus qu’ils n’ont produit.