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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

autre volume des succès qui ont été obtenus depuis qu’on a été débarrassé de ces entraves par la révolution.

De même qu’un faubourg prospère à côté d’une ville à corporations, qu’une ville affranchie d’entraves prospère au milieu d’un pays où l’autorité se mêle de tout, une nation où l’industrie serait débarrassée de tous liens, prospèrerait au milieu d’autres nations réglementées. Toutes les fois qu’on y a été garanti des vexations des grands, des chicanes de la justice et des entreprises des voleurs, les plus prospères ont toujours été celles où il y a eu le moins de formalités à observer. Sully, qui passait sa vie à étudier et à mettre en pratique les moyens de prospérité de la France, avait la même opinion. Il regarde, dans ses Mémoires[1], la multiplicité des édits et des ordonnances, comme un obstacle direct à la prospérité de l’état[2].

Si toutes les professions étaient libres, dira-t-on, un grand nombre de ceux qui les embrasseraient, écrasés par la concurrence, se ruineraient. Cela pourrait arriver quelquefois, quoiqu’il fût peu probable qu’un grand nombre de concurrens se précipitassent dans une carrière où il y aurait peu de chose à gagner ; mais, ce malheur dût-il arriver de temps en temps, le mal serait moins grand que de soutenir, d’une manière permanente, le prix des produits à un taux qui nuit à leur consommation, et qui appauvrit, relativement à ces produits, la masse entière des consommateurs.

Si les principes d’une saine politique condamnent les actes de l’administration qui limitent la faculté que chacun doit avoir de disposer en liberté de ses talens et de ses capitaux, il est encore plus difficile de justi-

  1. Liv. XIX.
  2. Colbert, élevé jeune dans le magasin des Mascrani, riches marchands de Lyon, s’y était imbu de bonne heure des principes des manufacturiers. Il fit grand bien au commerce et aux manufactures, parce qu’il leur accorda une protection puissante et éclairée ; mais, tout en les affranchissant d’une foule d’oppressions, il ne fut pas assez sobre d’ordonnances ; il fit peser sur l’agriculture les encouragemens qu’il donna aux fabriques, et les profits brillans de certains monopoles furent payés par le peuple. Qu’on ne s’y méprenne pas : c’est, en grande partie, ce système, plus ou moins suivi depuis Colbert jusqu’à nos jours, qui a procuré à la France de très-grandes fortunes et une très-grande misère ; des manufactures florissantes sur quelques points du territoire, et des chaumières hideuses sur mille autres : ce ne sont point ici des abstractions ; ce sont des faits, dont l’étude des principes donne l’explication.