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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XX.

alors connu : les peuples modernes n’ont su s’y faire que des sujets, c’est-à-dire, des ennemis. Les gouverneurs envoyés par la métropole, ne regardant pas le pays qu’ils administrent comme celui où ils doivent passer leur vie entière, goûter le repos et jouir de la considération publique, n’ont aucun intérêt à y faire germer le bonheur et la vraie richesse. Ils savent qu’ils seront considérés dans la métropole en proportion de la fortune qu’ils y rapporteront, et non en raison de la conduite qu’ils auront tenue dans la colonie. Qu’on y ajoute le pouvoir presque discrétionnaire qu’on est obligé d’accorder à qui va gouverner à de grandes distances, et l’on aura tous les principes dont se composent en général les plus mauvaises administrations.

Mais comme on ne peut guère compter sur la modération des gouvernans, parce qu’ils sont hommes ; comme ils participent lentement aux progrès des lumières, par la raison qu’une multitude d’agens civils, de militaires, de financiers, de négocians, sont prodigieusement intéressés à épaissir les voiles qui les entourent, et à embrouiller des questions qui seraient simples sans eux, il n’est permis d’espérer que de la force même des choses, la chute d’un système qui aura, pendant trois ou quatre cents ans, beaucoup diminué les immenses avantages que les hommes des cinq parties du monde ont retirés ou doivent retirer de leurs grandes découvertes, et du mouvement extraordinaire de leur industrie depuis le seizième siècle.

CHAPITRE XX.

Des voyages et de l’expatriation par rapport à la richesse nationale.

Lorsqu’un voyageur étranger arrive en France, et qu’il y dépense dix mille francs, il ne faut pas croire que la France gagne dix mille francs. Elle donne à l’étranger des produits pour la somme qu’elle reçoit de lui. Elle fait avec lui un échange qui peut être avantageux pour elle ; c’est un commerce où elle est payée comptant, où elle rentre plus promptement peut-être dans ses avances que de toute autre manière ; mais ce n’est rien autre chose qu’un commerce, même lorsqu’on lui donne de l’or.

On n’a pas jusqu’à présent considéré la chose sous ce point de vue. Partant toujours de ce principe, que la seule valeur réelle est celle qui se montre sous la forme d’un métal, on voyait à l’arrivée d’un voyageur une valeur de dix mille francs apportée en or ou en argent, et l’on appelait cela