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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXIII.

Quoiqu’il en soit, cette circonstance introduit une proportion jusqu’à un certain point arbitraire entre le prix du lingot et le prix des pièces. Quelquefois le gouvernement juge à propos de les fabriquer gratuitement, comme en Angleterre et en Russie, où l’on donne, à ceux qui portent des lingots à la monnaie, un poids égal en pièces monnayées, sans rien retenir pour la façon. Aussi, dans ces pays, les pièces monnayées ne vaudraient pas plus que le lingot, sans une circonstance qui fait que le monnayage, qui ne rapporte rien au gouvernement, n’est pas tout-à-fait gratuit pour le particulier. Celui-ci perd les intérêts de sa matière première depuis l’instant où il confie son argent aux ateliers monétaires, jusqu’à celui où on le lui rend. Sans la perte qui en résulte, il est évident que l’on se servirait de l’hôtel des monnaies, non-seulement pour avoir des monnaies, mais pour avoir, sans frais, un métal réduit à un titre uniforme, et portant une étiquette digne de confiance ; ce qui en faciliterait l’emploi, même dans le cas où l’on ne voudrait pas s’en servir comme monnaie. Malgré même cette perte d’intérêts qu’on subit à l’hôtel des monnaies d’Angleterre, il a très-souvent convenu aux spéculateurs de porter à l’étranger des monnaies anglaises où elles ne remplissaient pas l’office de monnaie, mais de lingots réduits à un titre uniforme et connu. Avant la révolution française, on voyait constamment des guinées dans le commerce des métaux précieux qui se faisait en France. Le gouvernement anglais, par conséquent, fesait supporter à ses contribuables les frais de fabrication, et ne les fesait pas jouir de la totalité de la monnaie qui résultait de ces frais, dont une partie tournait au profit des marchands étrangers. Le même effet s’est renouvelé depuis que les anglais ont fait une nouvelle monnaie d’or appelée souverains. Les anglais sont dupes en ceci de leur respect chinois pour leurs anciens usages.

Le même inconvénient se manifeste jusqu’à un certain point en France : non que le monnayage y soit entièrement gratuit ; mais le profit en est abandonné, dans chaque hôtel des monnaies, à un entrepreneur à façon, que l’on nomme improprement directeur ; et le gouvernement demeure chargé des frais d’administration et de surveillance, de l’entretien des bâtimens et des grosses machines, ainsi que de l’intérêt du capital que ces choses représentent.

Dans les cas que je viens de citer, la valeur de la monnaie ne s’élève pas aussi haut que si elle était fabriquée par des particuliers ; car nul d’entre eux ne voudrait subir les pertes que les gouvernemens consentent à supporter. En France, la différence de valeur entre l’argent en lingot