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PRÉLIMINAIRE.

Il est indubitable que les économistes ont fait du bien en proclamant quelques vérités importantes, en dirigeant l’attention sur des objets d’utilité publique, en provoquant des discussions qui, quoique vaines encore, étaient un acheminement à des idées plus justes[1]. Lorsqu’ils représentaient comme productive de richesses l’industrie agricole, ils ne se trompaient pas ; et peut-être que la nécessité dans laquelle ils se sont mis, de démêler la nature de la production, a fait pénétrer plus avant dans cet important phénomène, et a conduit ceux qui leur ont succédé à le développer pleinement. Mais, d’un autre côté, les économistes ont fait du mal en décriant plusieurs maximes utiles, en fesant supposer par leur esprit de secte, par le langage dogmatique et abstrait de la plupart de leurs écrits, par leur ton d’inspiration, que tous ceux qui s’occupaient de semblables recherches, n’étaient que des rêveurs dont les théories, bonnes au plus pour rester dans les livres, étaient inapplicables dans la pratique[2].

  1. Parmi les écrits qu’ils provoquèrent, il ne faut pas oublier ces dialogues si plaisans sur le commerce des grains, où Galiani parle d’économie politique sur ton de Tristan Shandy, met en avant quelques vérités importantes, et, lorsqu’on lui demande une preuve, répond par une gambade.
  2. Ce qui a principalement donné lieu de croire que les sciences morales et politiques ne reposaient que sur des théories creuses, c’est le mélange presque continuel qu’on a fait du point de droit avec le point de fait. Qu’importe, par exemple, la question longuement discutée dans les écrits des économistes, si la puissance souveraine est ou n’est pas co-propriétaire de tous les biens-fonds d’un pays ? Le fait est qu’en tout pays elle prend, ou qu’on est obligé de lui donner, sous le nom d’impôts, une part dans les revenus des biens-fonds. Voilà un fait, un fait important qui est la conséquence de certains faits auxquels on peut remonter, et qui est la cause d’autres faits (comme le renchérissement des denrées), auxquels on peut être conduit avec sûreté. Le point de droit reste toujours plus ou moins du domaine de l’opinion ; le point de fait est susceptible de certitude et de preuves. Le premier n’exerce presque aucune influence sur le sort de l’homme ; le second est tout pour lui, car les faits naissent les uns les autres ; et, comme il est important pour nous que tel résultat arrive plutôt qu’un autre, il nous est essentiel de savoir quels sont les moyens de faire arriver. J. J. Rousseau a fondé presque tout son Contrat social sur des points de droit, et en a fait ainsi, je ne crains pas de le dire un ouvrage très-peu utile, tout au moins.