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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

quantité des choses qu’il reçoive en retour. S’il en reçoit une plus ou moins grande quantité, c’est la valeur de ces choses qui varie, et non la valeur du travail avec lequel il les achète. Partout, dans tous les temps, ce qu’on n’obtient qu’avec beaucoup de peines et de travail, est cher ; ce qui en coûte peu est à bon marché. Le travail ne variant jamais dans sa valeur, est donc la seule mesure réelle avec laquelle la valeur de toutes les marchandises peut, en tout temps, en tous lieux, être comparée et estimée[1]. ».

N’en déplaise à Smith, de ce qu’une certaine quantité de travail a toujours la même valeur pour celui qui fournit ce travail, il ne s’ensuit pas qu’elle ait toujours la même valeur échangeable. De même que toute autre marchandise, le travail peut être plus ou moins offert, plus ou moins recherché ; et sa valeur, qui, ainsi que toute valeur, se fixe par le débat contradictoire qui s’élève entre le vendeur et l’acheteur, varie selon les circonstances.

La qualité du travail n’influe pas moins sur sa valeur. Le travail de l’homme fort et intelligent vaut plus que celui de l’homme faible et stupide. Le travail vaut plus dans un pays qui prospère, et où les travailleurs manquent, que dans un pays surchargé de population. La journée d’un manouvrier aux États-Unis[2] se paie en argent trois fois autant qu’en France ; peut-on croire que l’argent y vaut trois fois moins ? Une preuve que le manouvrier des États-Unis est réellement mieux payé, c’est qu’il se nourrit mieux, se vêtit mieux, se loge mieux. Le travail est peut-être une des denrées dont la valeur varie le plus, parce qu’il est, dans certains cas, extraordinairement recherché, et, dans d’autres cas, offert

  1. Rich. des Nat., liv. I, chap. 5. Smith dit, au sujet de cette question, que « le travail est le prix originel payé pour toutes choses ; que ce n’est pas avec de l’or et de l’argent, mais avec du travail, que toute la richesse du monde a été acquise. » Smith abonde ici dans le sens de ceux qui soutiennent que le travail est la source de toutes les valeurs, opinion qu’il m’est impossible d’admettre. La faculté de pouvoir nous servir est communiquée aux choses par le service d’un fonds de terre et d’un capital, en même temps que par le service des industrieux ou par le travail. Le produit, et par conséquent sa valeur, n’existent qu’autant que le consommateur y trouve une utilité suffisante pour qu’il veuille payer tous ces frais de production. La valeur du produit comprend donc le prix du service des capitaux et des terres, aussi bien que le prix du travail.
  2. Humboldt (Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, tome III, in-8o, page 105) l’estime à 5 fr. 50 c. ou 4 fr. de notre monnaie.